vendredi 11 juin 2010

Le vivant




Sujets donnés au baccalauréat :

Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ? (L2008 / S 1998)

Le vivant peut-il être considéré comme un objet technique ? (L 2007)

Un être vivant peut-il être assimilé à une machine ? (S 2005)

Peut-on expérimenter sur le vivant ? (L 2005)

La connaissance scientifique du vivant exige-t-elle que l'on considère l'organisme comme une machine ? (S 83/ ES 94)

Le vivant est-il entièrement connaissable ? (S 1993)

Sur quoi le respect de la vie peut-il se fonder ? (S 1992)

Les problèmes que pose la notion de « vivant » (tout comme celle de conscience pour la psychologie) est l’unité des sciences. Y a-t-il une même méthode physique unique pour tous les êtres de la Nature, qu’ils soient vivant ou pas, ou bien y a-t-il des démarcations et des différences irréductibles entre les sciences, entre les molécules ordinaires et les molécules organiques ? On appelle « réduction » le procédé par lequel une théorie scientifique peut être réduit à un cas particulier d’une autre théorie. Exemple : avec la mécanique statistique, la chaleur a été réduite à des problèmes de mécanique. Être réductionniste en biologie consiste donc à dire qu’on peut ramener les lois biologiques à des cas particuliers de la physique par exemple. C’était le problème de la Biologie moléculaire telle qu’elle a été développée en faisant se converger la biochimie et la génétique avec la découverte de la base des gènes.

I Qu’est-ce que la vie et le vivant ?

I.1) La définition par l’âme organisant la matière

Le vivant était défini par Aristote, premier créateur de la zoologie, comme ce qui est « animé », doté d’une âme qui fait croître l’objet et lui permet de se nourrir. L’animal comme le végétal sont formés d’une matière et d’une forme spécifique qui organise cette matière. Il y a invariance des espèces (les Formes) et un renouvellement continu de la matière dans l’individu. Mais ce modèle de la Forme et de la Matière est plus descriptif que vraiment explicatif. De même quand le médecin Xavier Bichat parlait d’une « force vitale » qui résiste à la mort (p. 276).

I.2) Peut-on avoir une définition qui ne soit pas une force mystérieuse ?

Claude Bernard (1813-1878), Introduction à la médecine expérimentale, 1865. Bernard donne une définition intéressante du vivant par l’homéostasie ou « fixité du milieu intérieur ». Un vivant est un être capable de se maintenir en partie indépendamment de fluctuations externes. « C’est un équilibre dynamique qui nous maintient en vie. » Le vivant peut en partie se séparer malgré ses interactions avec l’environnement.

I.3) La notion de « Vie » au-delà du Vivant naturel

Cf. définitions plus large que le vivant au sens habituel avec la notion d’automates cellulaires en algorithmique (comme le « Jeu de la vie » du mathématicien Conway, 1970, où des règles formelles peuvent définir un milieu en « évolution » déterministe). On peut étendre la vie à des formes de vie « artificielle » comme des virus simplement virtuels (parce qu’ils se reproduisent et que parfois ils peuvent muter). La vie est définie désormais par un concept d’information qui se transmet.

II La connaissance du vivant : Peut-on expliquer le vivant ?

II.1) Les causes finales et la différence avec les objets artificiels

Les 4 causes : Cause formelle, cause matérielle, cause motrice et cause finale

La cause formelle est la structure de la chose (par exemple le plan de la maison dans l’architecte). La cause matérielle est l’ensemble des matières qui sont utilisées pour un objet (par exemple les pierres). La cause motrice est ce qui met en mouvement la disposition de la matière et de la forme (par exemple le maçon). La cause finale est ce en vue de quoi la cause motrice est guidée (le projet).

Aristote a donc introduit le « Finalisme » pour expliquer les phénomènes vivants. Quand on voit un vivant comme un embryon, c’est un mouvement de croissance complexe qui ne se fait pas au hasard, les organes (« outils ») se développent vers un but, donc dit Aristote il y a une cause finale qui ne vient pas d’un Architecte mais d’une Cause finale spéciale qui est dans le vivant et qu’il appelle l’Âme ou Forme de ce corps. Aristote a pris un modèle technique pour expliquer le vivant mais il a aussi opposé les deux, substances animées et outils mécaniques.

II.2) Mécanisme contre Vitalisme

II.21) Le Mécanisme et l’abandon des causes finales




La science moderne voit la victoire d’un nouveau Mécanisme (même si dès l’Antiquité, les Epicuriens matérialistes refusaient déjà la Finalité qu’ils jugeaient inexplicable). Tous les phénomènes physiques doivent être expliqués par une physique du mouvement, comme pour les Machines simples. Descartes (cf. p.332), inspiré par la découverte en 1616 de la circulation sanguine (qu’il compare à une sorte de « pompe ») explique qu’il ne doit plus y avoir que des causes mécaniques comme les rouages des machines. « Tout doit s’expliquer par figures et par mouvements », c’est-à-dire que les corps étendus, qu’ils soient vivants ou pas, végétaux ou animaux, n’ont que des explications qui dépendent de la géométrie. Tout le corps est comme un ensemble de mécanismes et de soufflets : le corps est une machine (mais l’homme lui seul est différent par sa conscience et par sa raison). Cf. aussi Spinoza dans l’Ethique p. 272, la finalité est « un asile de l’ignorance »

Cf. cours sur les Techniques, le but de la science est de connaître la nature et de développer une « philosophie pratique » (technologie) pour « devenir comme maître et possesseur de la nature ». Les biotechnologies peuvent modifier l’être vivant.

II.22) Le problème de la téléologie face au Mécanisme

Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, §65 p. 279 « Les limites du mécanisme » Kant se trouve dans un dilemme dans l’explication du vivant. En physique, il considère que Descartes a raison et qu’il faut être strictement mécaniste et déterministe. Mais dans le cas du vivant, il y a des phénomènes qu’on appelle « organismes » qui ne semblent pas pouvoir se réduire aux causes motrices. En mécanique, un agrégat n’est que la somme des parties. Pour le vivant, chaque partie semble viser le tout et le tout organique peut réparer ou reformer certaines parties, comme s’il y avait une « Force Formatrice ». Une montre ne peut ni se réparer, ni produire d’autres montres.

C’est le problème du jugement téléologique (de finalité). Nous ne pouvons pas nous empêcher d’attribuer une finalité aux phénomènes vivants, mais nous n’avons pas une connaissance objective par des lois de cette finalité. Selon Kant, la finalité renvoie donc à notre incapacité à expliquer ces phénomènes organiques sans cela mais ce n’est pas une vraie explication par des causes. La finalité est une « idée régulatrice » pour notre connaissance mais elle ne nous fournit pas de connaissance.

« On dit trop peu de la nature et de son pouvoir pour des productions organisées, quand on l'appelle un analogue de l'art; on imagine alors l'artiste (un être raisonnable) en dehors d'elle. Elle s'organise au contraire elle-même dans chaque espèce de ses produits organisés; dans l'ensemble il est vrai, d'après un même modèle, mais avec les modifications convenables exigées pour la conservation de soi-même suivant les circonstances. Dans la nature les êtres organisés sont ainsi les seuls, qui, lorsqu'on les considère en eux-mêmes et sans rapport à d'autres choses, doivent être pensés comme possibles seulement en tant que fins de la nature et ce sont ces êtres qui procurent tout d'abord une réalité objective au concept d'une fin qui n'est pas une fin pratique, mais une fin de la nature, et qui, ce faisant, donnent à la science de la nature le fondement d'une téléologie, c'est-à-dire une manière de juger ses objets d'après un principe particulier, que l'on ne serait autrement pas du tout autorisé à introduire dans cette science (parce que l'on ne peut nullement apercevoir a priori la possibilité d'une telle forme de causalité). » (Kant, Critique de la faculté de juger)

Le Vitalisme est la théorie selon laquelle il y aurait dans le vivant une sorte de « Force vitale », un élan spécial différent qui le rendrait irréductible au Mécanisme. Le physiologiste Claude Bernard au contraire, dit bien que malgré l’apparente finalité (p. 273), et bien qu’on ne rende pas compte de l’origine du vivant, il faut étudier dans l’expérimentation physiologique le vivant uniquement par des « déterminismes » physico-chimiques cf. Introduction à la médecine expérimentale, p. 274.

II.3) L’évolution et la sélection naturelle comme résolution de l’opposition

Avant même Darwin, on savait qu’il y avait eu des transformations d’espèces avec Lamarck, mais Lamarck n’avait pas d’explication satisfaisante parce qu’il croyait à des transformations acquises par l’individu et transmises ensuite. L’idée originale de Charles Darwin (1809-1882) n’est donc pas seulement l’évolution mais plutôt le mécanisme de sélection naturelle : les individus ont des descendances qui mutent au hasard et les mutants qui se trouvent mieux adaptés à leur milieu sont mieux sélectionnés. La variation du vivant ne vient que du hasard des mutations et des contraintes du milieu. Ils ne mutent pas pour s’adapter, c’est parce qu’ils sont mieux adaptés qu’ils peuvent mieux se reproduire. On peut expliquer les organismes sur des populations sans avoir besoin de finalité. Darwin la publie dans L’origine des espèces, 1859.

En 1953, Watson & Crick découvrent l’ADN et en 1961, Jacques Monod et François Jacob découvrent l’ARN Messager. L’évolution par sélection naturelle a plusieurs conséquences pour notre conception du vivant. Cela contraint à une Continuité des formes de vie et à une contingence (une non-nécessité de ces formes). Jacques Monod (1910-1976) introduit le concept de « téléonomie » (« Forme de finalité admise dans les adaptations biologiques en tant que le but concernerait une utilité immédiate sans considération d'un avenir plus ou moins lointain ») pour conserver la notion de finalité dans un monde sans téléologie, grâce à la notion d’Information.

Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité, 1970, pp 32-33 :

« La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l'objectivité de la Nature. C'est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c'est-à-dire de « projet ». (...) Postulat pur, à jamais indémontrable, car il est évidemment impossible d'imaginer une expérience qui pourrait prouver la non-existence d'un projet, d'un but poursuivi, où que ce soit dans la nature. Mais le postulat d'objectivité est consubstantiel à la science, il a guidé tout son prodigieux développement depuis trois siècles. Il est impossible de s'en défaire, fût-ce provisoirement, ou dans un domaine limité, sans sortir de celui de la science elle-même. L'objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde. Le problème central de la biologie, c'est cette contradiction elle-même, qu'il s'agit de résoudre si elle n'est qu'apparente, ou de prouver radicalement insoluble si en vérité il en est bien ainsi. (…) L'invariance précède nécessairement la téléonomie. Ou, pour être plus explicite, l'idée darwinienne que l'apparition, l'évolution, le raffinement progressif de structures de plus en plus intensément téléonomiques sont dus à des perturbations survenant dans une structure possédant déjà la propriété d'invariance, capable par conséquent de « conserver le hasard » et par là d'en soumettre les effets au jeu de la sélection naturelle. »

L’évolution des sciences du vivant est allée vers un modèle d’explication causal unifié, fondé sur la physique, mais a pu aussi donner une explication du problème de la Finalité. Le vivant est donc à la fois une forme de continuité entre les êtres matériels mais aussi un niveau d’émergence de structures plus complexes que les molécules non-organiques. Une unité de méthode n’exclut pas donc une pluralité de ces niveaux de complexité.

Le vivant pose de plus des questions éthiques. Pour le connaître, il faut pouvoir expérimenter sur le vivant mais le vivant peut aussi ressentir des souffrances ou être en interaction avec nous, ce qui implique au moins certains devoirs moraux vis-à-vis de ce qui est vivant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire