jeudi 10 juin 2010

Cours sur la Justice et le Droit





Sujets donnés au baccalauréat :



Pour être juste, suffit-il d'obéir aux lois ? S 2008

Toutes les inégalités sont-elles des injustices ? ES 2008

Est-ce à la justice de dire où est le mal ? S 2008

L'homme injuste peut-il être heureux ? STG 2008

Le droit doit-il tenir compte des différences entre les individus ? L 2008

La recherche de l'égalité peut-elle être injuste ? ES 2007

Peut-on être injuste avec soi-même ? S 2007

La loi pourrait-elle se passer des juges ? ES 2007

Appliquer des lois justes suffit-il pour assurer la justice ? L 2007

Le droit peut-il défendre l'égalité tout en respectant les différences ? S 2006

Faut-il choisir entre liberté et égalité ? ES 2006

Le droit sert-il à établir l'ordre ou la justice ? ES 2006

Le juste et l'injuste ne sont-ils que des conventions ? L 2005

La justice est-elle affaire de morale ? L 2005

Suffit-il de traiter tous les hommes de la même façon pour être juste ? S 2005

Comment décider qu'un acte est juste ? S 1998

La paix peut-elle s'accommoder de l'injustice ? L 1996

Peut-on concilier les exigences de la justice et celles de la liberté ? ES 1995

Peut-on concevoir la justice sans l'Etat ? S 1994

La justice ne peut-elle être définie que comme un idéal ? ES 1991

Suffit-il, pour être juste, d'obéir aux lois et aux coutumes de son pays ? S 1990

A quel type d'égalité renvoie l'exigence de justice ?

Ce qui est légal est-il nécessairement juste ?

A qui appartient-il de décider du juste et de l'injuste ?

Une société est-elle d'autant plus juste que l'ordre y règne ?

La loi n’a-t-elle pour fin que la sécurité ?

Suffit-il, pour être juste, d'obéir aux lois et aux coutumes de son pays ?

Peut-il être juste de désobéir ?

Est-ce par devoir ou par intérêt qu'il faut être juste ?

Le critère d'une société juste est-il l'égalité ?

Un acte de justice ne risque-t-il pas d'être un acte de vengeance ?

Le châtiment peut-il ne rien devoir au désir de se venger ?

La justice a-t-elle pour but de venger la société et de la protéger du criminel ?


Voir le Manuel, p. 356-375. Repères En fait / en droit p. 454, Légal / légitime p. 458

La justice ne se limite pas à l’ensemble des institutions juridiques du Droit (« positif ») ou aux lois.

Les lois au sens politique et juridique sont des règles obligatoires édictées par une autorité et qui organisent les actions en société, qui instaurent des droits et des interdictions[1]. Mais la justice, ce qui est juste, équitable est aussi un principe moral : « que chacun reçoive ce qui lui est dû », selon son mérite. Ce qui est légal est conforme au droit et aux lois existantes, mais ce qui est légal n’est pas nécessairement toujours juste. Une loi n’est pas toujours légitime et conforme à ce qui devrait être le cas, si elle est imposée par une autorité qui ne respecte pas certains principes qu’il faut déterminer.

I D’où viennent les lois et comment déterminer ce qui est juste ?

I.1) Les lois politiques et l’état de nature

Voir cours sur la Liberté, I sur la liberté politique, la sécurité et l’état de nature.

Pourquoi les hommes se sont-ils donné des lois ? Ce peut être parce qu’elles sont utiles pour atteindre l’ordre et la sécurité des biens et des personnes comme le pense Hobbes. Mais les lois permettent au-delà de l’ordre de viser un idéal plus général, la liberté des citoyens et l’égalité de tous devant des lois. Les lois « positives » - c’est-à-dire les droits « posés », acquis ou institués dans une société particulière – ne font pas qu’interdire et réprimer. Le positivisme juridique est la théorie selon laquelle on doit en rester à ce droit positif sans poser la question de ce que devrait être la Justice. Elles servent aussi à instituer de nouveaux droits, à organiser les contrats entre les individus – par exemple le droit du travail dans les contrats entre employeurs et salariés.



On pourrait aussi dire comme Blaise Pascal (Pensées Br. 294, Manuel p. 368-369) que la vraie justice est inconnaissable mais que nous avons intérêt à nous fonder sur les coutumes réelles et le droit positif, malgré leur relativité. Mieux vaut un droit positif imparfait qu’une guerre perpétuelle sur ce que serait une Justice parfaite.

I.2) Pourquoi obéit-on aux lois ?

On n’obéit pas toujours aux lois en suivant un principe moral ou par respect des lois.

L’obéissance peut parfois être une simple habitude, une conformité. On peut se soumettre à la loi par tradition ou par soumission à la force (cf. Mythe de Gygès).

Mais comme le dit Rousseau dans le texte extrait du Contrat social, I, 3, Manuel p. 369, les lois ont certes besoin de la force pour être appliquées et protégées mais les simples rapports de force, ce qu’on appelle abusivement le « droit du plus fort », n’est pas un principe juste, ce n’est pas un vrai « droit », mais une domination « de fait ».

Il n’y a pas de justice sans droit positif réel et sans force, sans pouvoir exécutif, mais la force ne peut faire un droit. La force est donc nécessaire mais pas suffisante pour la justice.


I.3) La loi « positive » n’est pas toujours juste

Une loi édictée par un pouvoir politique peut être un décret tyrannique si elle ne respecte pas des principes de justice. Ce problème est posé depuis l’Antiquité par la légende d’Antigone (cf. tragédie de Sophocle, Manuel p. 365). Antigone explique qu’elle ne peut pas reconnaître une loi humaine qui va selon elle contre une loi « plus sacrée ». Il serait alors légitime (moralement) de désobéir à une loi injuste, même si c’est illégal.

A l’inverse, quand Socrate fut condamné à mort pour impiété à Athènes, il refusa de s’enfuir, selon le Criton de Platon (Manuel p. 366). Socrate expliqua que la condamnation était injuste mais qu’il ne voulait pas commettre une autre injustice en transgressant les Lois de sa Cité qu’il voulait défendre. Mais n’a-t-on pas le droit de « désobéissance civile », en refusant d’appliquer des lois injustes ?

Le Droit positif peut conduire à des règles complexes qui peuvent être injustes, avantager ceux qui disposent des meilleurs plaideurs, les spécialistes juridiques comme les Sophistes qui connaissent les méthodes pour persuader un auditoire ou un jury. Un tribunal peut parfois commettre des erreurs judiciaires. Les décisions juridiques peuvent dépendre plus du talent oratoire ou de la connaissance du droit positif que de ce qui est juste. En ce cas, le Droit n’est donc pas suffisant et il faut poser aussi la question morale de la justice en plus de la question politique et juridique de la loi.

II L’idéal de justice

II.1) La justice, l’égalité et l’équité

Une loi n’est pas simplement n’importe quel ordre ou décret arbitraire dans un État de droit. Une loi juste doit valoir de manière générale pour tous les membres de la société. L’idée de droit naturel suppose des normes universelles qui permettent de juger si une loi positive d’un pays est juste.

La loi juste suppose l’égalité civile de tous devant la loi (égalité en droit, « isonomie »), il ne doit pas y avoir de privilège qui favorise certains ou désavantagent d’autres. Cf. Rousseau, Du Contrat social, II, 6 : la loi doit être expression de la « volonté générale », Manuel p. 373.

Mais la justice n’est pas la même chose que l’égalité totale. Traiter tout le monde dans toutes les circonstances de la même façon serait « égalitaire » mais sans être juste. On peut distinguer une justice corrective (on vous rend exactement ce qui vous a été pris) et une justice distributive (on répartit à chacun honneurs ou fortune, mais pas de la même manière). La justice suppose, dit Aristote dans, non pas l’égalité stricte numérique mais une égalité par proportion : à chacun selon son mérite. Celui qui a mérité plus doit avoir davantage, et vice versa (Politiques, V, Manuel p. 375, et la « méritocratie » républicaine).

De plus selon Aristote, la justice suppose plus qu’une loi strictement égale dans tous les cas. Selon l’Ethique à Nicomaque, livre V, Manuel p. 374, l’équité est la loi appliquée et adaptée.

Des lois strictes et précises dans tous les cas pourraient conduire à des injustices si on ne les applique pas avec nuance dans les cas particuliers (voir le proverbe : Summum jus, summa injuria : le comble du droit serait le comble de l’injustice). Ici, l’équité peut demander qu’on corrige une loi générale. C’est pourquoi les juges doivent tenir compte des situations particulières, des cas individuels et pouvoir faire des exceptions.

2) Droits formels et justice sociale

Certains philosophes comme Karl Marx ont critiqué le Droit positif des sociétés bourgeoises comme injuste parce qu’en traitant le pauvre de la même manière que le riche ou le puissant, il avantagerait ce dernier. Selon Marx, le Droit ne donne que la forme de la justice mais pas son contenu réel. Il refuse un droit purement « formel » au nom de l’égalité réelle. Par exemple, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantit l’égalité (« abstraite ») des droits et le droit de propriété privée, mais pas des droits sociaux, droits à une égalité réelle des conditions sociales. Comme le disait Lacordaire (sur la liberté du contrat de travail), « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Pour résoudre cette difficulté, le philosophe américain contemporain John Rawls (1921-2002) a proposé une nouvelle théorie du Contrat social dans sa Théorie de la Justice (1971), Manuel p. 371. Selon Rawls, le critère de justice est que l’individu peut accepter cette inégalité s’il ignore sa propre position dans la société (c’est ce qu’il appelle le Voile d’ignorance). On doit être en quelque sorte aveugle à sa propre identité (à sa classe sociale, à ses propriété, à sa race, son sexe, sa communauté) quand on délibère de ce que serait le Contrat social juste. Le Voile d’ignorance est une méthode de procédure pour définir l’impartialité dans la définition de la justice. Par exemple, il peut être juste d’avantager des handicapés dans le droit au travail pour favoriser « l’égalité des chances » : un individu qui ignore s’il est lui-même handicapé et qui sait qu’il y a des discriminations envers eux accepterait cette correction de la discrimination.

John Rawls défend une théorie « libérale » de la Justice distributive, au sens du libéralisme politique, qui part des droits des individus (mais sa théorie suppose le rôle de l’Etat pour intervenir dans l’économie contre les inégalités sociales). Il distingue deux Principes dans sa théorie de la justice.

Le Premier principe (Egale Liberté) est que chaque individu a droit aux mêmes libertés fondamentales égales pour tous (le plus de libertés telles que cela soit compatible avec celles des autres : libertés dites « formelles », liberté de conscience, d’expression, libertés politiques « négatives »). Le Second principe (Différences justes) est que toute inégalité de traitement doit être telle qu’elle soit à l’avantage de tous (et le critère est notamment qu’une différence doit profiter à ceux qui seront les plus désavantagés), et que toute différence soit attachée à des positions et fonctions accessibles à tous (égalité des chances).

Pour Rawls, le premier principe a une priorité sur le second, pour éviter le risque que l’Etat supprime ces droits-libertés. Il faut garantir « l’égale liberté » au-dessus de toute différenciation ou inégalité réelle de fonctions (ce qui s’oppose à la critique du formalisme de l’égalité en droit).

III La loi comme condition de la justice

III.1) La loi du Talion et le ressentiment

L’origine de nos rapports juridique peut parfois être l’envie ou bien le désir de se venger, ce qu’on appelle le ressentiment. La loi du Talion dit « Œil pour œil, dent pour dent » et les premiers droits supposaient une réciprocité parfaite (justice correctrice) entre la faute et sa punition ou rétribution. Selon Friedrich Nietzsche dans la Généalogie de la morale, la « justice » n’est pas en fait le vrai but de nos lois. Le Droit et la morale ne feraient que déguiser un désir de vengeance. Nous ne voulons pas vraiment la justice mais faire souffrir celui qui nous a fait souffrir. Selon Nietzsche, même les idées d’autonomie et de responsabilité ne servent qu’à justifier un désir de dominer les autres et de les punir.

La loi n’a-t-elle pas alors de vraie fonction de « justice » impartiale ?

III.2) Les corrections et les progrès des lois positives

La justice est un rapport plus universel que la vengeance. C’est l’Etat qui doit juger et punir, et non les individus qui se vengent. C’est pourquoi les désirs de vendetta ou de lynchage des individus ne peuvent pas justifier les peines. La justice ne fait pas que traduire et exprimer nos passions, nos craintes et nos ressentiments. Au-delà du droit des victimes ou de l’ordre social, le droit vise aussi des normes de civilisation, qui dépassent le simple rétablissement de la sécurité. Voir le texte de Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821: le droit positif ne se réduit pas aux volontés et intérêts individuels, il les dépasse dans le rapport plus universel imposé par l’Etat. Ce sont des magistrats et des lois qui jugent, et non des familles voulant réparation. Cf. Manuel p. 372. Le droit a progressivement pris en compte la responsabilité des criminels, les circonstances atténuantes et les possibilités de réhabilitation. En ce sens, la justice n’est pas qu’une vengeance « légitimée », elle s’oppose par sa procédure à ces représailles violentes ou à des châtiments cruels (interdiction de la torture).

Par exemple, l’abolition de la peine de mort fut d’abord proposée par le juriste Beccaria au XVIIIe siècle (dans Des Délits et des peines, 1764), au nom d’une théorie du « Contrat social » : les individus ont transmis certains droits et libertés naturelles à l’Etat, mais non pas leur vie. L’Etat peut en temps de paix leur retirer leur liberté de mouvement et les emprisonner, mais pas leur retirer tout droit, les torturer ou les tuer, quels que soient les désirs de vengeance des victimes ou des familles.


Les lois positives ne sont donc pas toujours justes et doivent pouvoir être critiquées, débattues et examinées librement.
Mais c’est aussi par la loi qu’on peut limiter le pouvoir arbitraire ou corriger des injustices. Les lois sont donc une condition de la justice, mais aussi de la liberté.



[1] Il faut distinguer le Droit (objectif) comme ensemble de normes prescriptives (comme le droit positif) et un droit (subjectif) comme liberté ou permission (exemple : droit de résistance à l’oppression).

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