vendredi 11 juin 2010

La vérité





La pluralité des opinions fait-elle obstacle à l'exigence de vérité ? (L 2009)

La science relève-t-elle du seul désir de vérité ? (L 2009)

Peut-on douter d’une vérité démontrée ? (S 2009)

Y a-t-il des vérités indiscutables ? (S 2009)

Toute vérité est-elle relative ? (ES 2009)

Pourquoi vouloir à tout prix connaître la vérité ? (ES 2009)

La vérité peut-elle changer ? (S 2008)

Y a-t-il d’autres moyens que la démonstration pour établir une vérité ? (S 2008)

Y a-t-il des vérités qui échappent à la raison ? (S 2008)

La vérité est-elle libératrice ? (ES 2008)

La vérité est-elle relative à une culture ? (S 2007)

L'expression « c'est ma vérité » a-t-elle un sens ? (STG 2006)

Dire que la vérité est relative, est-ce dire qu'il n'y a pas de vérité ? (ES 2006)

Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? (ES 2006)

La vérité rend-elle heureux ? (ES 2005)

Une interprétation peut-elle prétendre à la vérité ? (ES 2005)

La vérité est-elle la valeur suprême ? (S 2004)

L'esprit cesse-t-il d'être libre lorsque la vérité s'impose à lui ? (L 2004)

Toute vérité est-elle démontrable ? (ES 2004)

Y a-t-il des vérités indiscutables ? (ES 2004)

Faut-il chercher la vérité au-delà des apparences ? (STG 2004)

La vérité est-elle toujours préférable à l'illusion ? (STG 2004)

Faut-il séparer la beauté et la vérité ? (S 2003)

La vérité dépend-elle de nous ? (S 2003)

Toute vérité est-elle bonne à dire ? (S 2003)

La rigueur d'un raisonnement suffit‑elle pour garantir la vérité ? (L 2003)

Le dialogue est-il le chemin de la vérité ? (ES 2003) Peut-on avoir de bonnes raisons de ne pas dire la vérité ? (STG 2003)

Suffit-il de connaître la vérité pour renoncer à ses préjugés ? (STG 2002)

Toute vérité est-elle vérifiable ? (STG 2002)

Pour chercher la vérité, faut-il s'affranchir de toute subjectivité ? (S 2002)

Peut-on s'accorder sur des vérités morales ? (S 2002)

Les vérités scientifiques sont-elles indiscutables ? (S 2002)

La vérité n'est-elle recherchée que pour les avantages qu'on en attend ? (ES 2001)

De quelle vérité l'opinion est-elle capable ? (ES 2001)




Cf. Manuel p. 304-319. Voir aussi l'introduction sur l'Opinion et la Connaissance.

I La définition de la vérité

I.1 La définition par la correspondance du jugement à la réalité

Blaise Pascal disait qu'un terme aussi simple que « vrai » ne pourrait pas recevoir une définition. On ne peut pas tout définir car « on arrive nécessairement à des mots primitifs qu’on ne peut plus définir » (De l'esprit géométrique, 1657).

Pourtant, il existe une définition traditionnelle : la vérité est « l'adéquation, la correspondance ou l'accord d'une représentation et de la chose représentée ». Pour définir le concept de vérité, on a donc besoin de celui de réalité. La réalité est tout ce qui existe. Une proposition ou une représentation est vraie si et seulement si elle est en accord avec des objets réels.





Dans l'Allégorie de la Caverne de Platon, les croyances des prisonniers sont fausses puisqu'elles ne correspondent pas au « monde réel » mais seulement à des illusions. « pV = nRT » est vrai au sens strict ssi il y a des « objets » dans la réalité (la pression du gaz, le volume, la quantité de moles du gaz et la température) qui rendent cette expression « vraie ». La réalité est un ensemble de faits ou de choses, la vérité est la propriété de pensées ou de phrases : des jugements. La connaissance cherche donc des théories vraies, c'est-à-dire les plus en accord avec la réalité. De la fausse monnaie est quelque chose de réel mais ce n'est pas vraiment ce que nous croyons, elle est qualifiée de fausse parce qu'elle crée des croyances fausses, des erreurs.

Mais comment peut-on comparer les vraies représentations et les faits réels ? Ne connaissons-nous pas des faits que ce que nous pouvons en comprendre par l'intermédiaire de nos théories ?

Cf. La Raison et la démonstration II.1 sur le problème du « critère » de la vérité (le débat entre les Sceptiques et Descartes sur la vérité, la certitude et le doute)

I.2 Le critère de cohérence formelle ou logique

On peut ajouter à la Correspondance l'idée de Vérité comme Cohérence. Il y a des théories qu'on considère comme vraies parce qu'elles sont déduites d'autres vérités, même si on ne peut pas connaître directement les faits réels. Par exemple, on n'a pas expérimenté des faits sur un lointain passé mais on peut se servir d'une forme de déduction rétroactive à partir de l'observation de faits actuels. Cf. La raison et la démonstration I.2 sur la notion de validité formelle. On peut ainsi définir la vérité formelle d'une théorie (que les propositions ne se contredisent pas les unes les autres) par opposition à sa vérité « matérielle » (qu'une théorie corresponde à des faits).

Une théorie vraie doit être cohérente, mais ce n'est pas suffisant. Plusieurs théories distinctes peuvent être cohérentes et en accord avec ce qu'on croit savoir sans qu'on puisse toujours trancher. Doit-on supposer un autre critère pour reconnaître une théorie vraie ?

I.3 Le critère « pragmatiste » de la vérité

Le philosophe et psychologue américain William James (1842-1910) a créé au début du XX e siècle une célèbre définition de la vérité, la définition « pragmatiste » du vrai. Pour James, on ne peut pas toujours savoir si une théorie correspond aux faits réels, mais on peut au moins savoir si elle nous convient, si elle semble « fonctionner » pour les êtres humains, s'il y a des raisons pratiques pour y croire. A la même époque, le mathématicien Henri Poincaré (1854-1912) défend que certaines hypothèses physiques doivent être acceptées comme de simples conventions commodes.

Mais cette définition confond les motifs psychologiques pour croire et la vérité objective. Même si une théorie semble être efficace et qu'on y croit, on peut encore se demander si elle est vraie. Un médicament qu'on croirait efficace par simple effet placebo serait quand même un faux médicament s'il n'agit pas réellement.

Il faut donc bien un accord avec des faits réels et pas seulement la cohérence ou une convention pragmatique. La valeur de la vérité ne se réduit pas à ce qui paraît utile, car ce serait trop relatif. Mais on ne peut pas démontrer toutes nos opinions, il y a donc plusieurs degrés d'opinions plus ou moins vraisemblables ou plus ou moins fondées sur des arguments rationnels.

II La valeur de la vérité

II.1 La vérité a-t-elle nécessairement de la valeur ou faut-il défendre l'illusion ?





Friedrich Nietzsche p. 319 critique le fait que tous les philosophes disent vouloir chercher la vérité pour elle-même parce qu'elle aurait plus de valeur que l'illusion. Cf. Aristote sur la valeur de la vie contemplative. Mais selon Nietzsche, il n'y a aucune preuve de cela : il est peut-être faux que la vérité soit toujours à rechercher. Nietzsche va donc plus loin que le pragmatisme : pour lui, ce qui peut contribuer à notre bonheur ou à notre survie peut avoir plus de valeur que le concept de vérité. Cf. Cours sur le bonheur II.3 Bonheur et connaissance. Comme le dit Descartes, un bonheur fondé sur l'illusion ne serait que temporaire, un faux bonheur. La vérité peut nous blesser sur le moment mais nous ne pourrions pas nous contenter d'illusions consolantes si nous savions en fait qu'elles sont fausses. La vérité, même lorsqu'elle s'impose à nous, peut nous libérer en nous libérant de nos préjugés (Cours sur la liberté II).

II2 La Vérité en Art

Il y a des cas où on peut en effet défendre la valeur de l'illusion contre un souci de n'en rester qu'à la réalité : l'Art par exemple. Platon était sans doute excessif dans la République quand il critique en l'artiste un simple imitateur de la réalité ou un illusionniste.

Mais même quand l'Art s'écarte du réel, ne peut-on pas dire que c'est au contraire pour chercher encore la vérité, mais une expression nouvelle de la vérité qui n'était pas connue dans l'expérience directe de la réalité ? Cf. Cours sur l'Art I.2 sur Hegel et III sur le statut de vérité « subjective » des jugements esthétiques et de la critique en art.

II.3 Le devoir de véracité a-t-il des limites ?

On a vu qu'il faut chercher à connaître la vérité. Mais a-t-on toujours le devoir de dire (ce qu'on croit être) la vérité ? Quand on prétend mentir pour de bonnes raisons, c'est souvent pour des prétextes intéressés ou par lâcheté (cf. Cours sur le devoir moral II.2 Kant contre Benjamin Constant p. 318), mais on peut défendre quand même qu'on peut ne pas la dire dans n'importe quelle circonstance à n'importe qui.

III La recherche de la vérité et l'évolution de la connaissance

III.1 L'Idée de vérité absolue

Cf. Introduction contre le Relativisme : il y a des vérités absolues et des vérités relatives.

Il y a certaines vérités qui sont absolues, vraies de manière nécessaires et universelles. C'est par exemple le cas des vérités mathématiques. Un théorème démontré ne pourra jamais être réfuté.

Mais cela ne veut pas dire que toute vérité absolue soit seulement une connaissance a priori ou bien une vérité objective car le Cogito de Descartes est un exemple d'une vérité certaine mais qui n'est connaissable que pour le Sujet qui en prend conscience.

III.2 Les erreurs et les illusions

La méthode scientifique cherche des moyens d'éviter les erreurs. Pour Descartes dans les Méditations métaphysiques, IV, les erreurs ne viennent pas de limites de notre intelligence ou même de nos sens, mais plutôt du fait que nous voulons interpréter hâtivement sans avoir assez d'information au lieu de suspendre notre jugement (douter). En ce sens, l'erreur dépend de nous, elle est de notre faute.

C'est encore plus clair avec l'illusion, qui est une erreur entretenue par nos désirs. Cf. La religion III.2. Freud p. 317

Mais l'erreur n'a pas qu'un rôle négatif car il y a certaines théories vraies qu'on ne peut atteindre qu'en ayant d'abord critiqué et corrigé nos préjugés et nos impressions. Comme le dit Hegel, en philosophie, une opinion excessive ou unilatérale peut être un moment nécessaire par lequel il fallait passer avant d'arriver à la vérité. C'est ce que veut dire sa formule énigmatique « Le Faux est un moment du Vrai » (Phénoménologie de l'esprit, 1807). Comme le dit le philosophe des sciences Karl Popper, la méthode scientifique doit procéder par conjectures et réfutation, par le progrès de l’esprit critique. Cf. La démonstration III.2.

III.3 La vérité peut-elle changer ?

Il y a des phrases qui sont vraies ou fausses relativement à un lieu ou à un temps. Mais cela ne veut pas dire que la Vérité elle-même change. Nos théories sont plus ou moins vraies en se précisant, en se corrigeant.

Notre meilleure théorie (que ce soit en mathématiques ou dans les sciences empiriques) est plus proche de la Vérité en ce sens, même si on doit admettre que sur les vérités empiriques, on peut avoir plusieurs degrés de probabilité sans une vérité absolue (cf. Bertrand Russell p. 313). Cela ne renonce pas pour autant au concept et à la valeur de l'idée de Vérité.

Le vivant




Sujets donnés au baccalauréat :

Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ? (L2008 / S 1998)

Le vivant peut-il être considéré comme un objet technique ? (L 2007)

Un être vivant peut-il être assimilé à une machine ? (S 2005)

Peut-on expérimenter sur le vivant ? (L 2005)

La connaissance scientifique du vivant exige-t-elle que l'on considère l'organisme comme une machine ? (S 83/ ES 94)

Le vivant est-il entièrement connaissable ? (S 1993)

Sur quoi le respect de la vie peut-il se fonder ? (S 1992)

Les problèmes que pose la notion de « vivant » (tout comme celle de conscience pour la psychologie) est l’unité des sciences. Y a-t-il une même méthode physique unique pour tous les êtres de la Nature, qu’ils soient vivant ou pas, ou bien y a-t-il des démarcations et des différences irréductibles entre les sciences, entre les molécules ordinaires et les molécules organiques ? On appelle « réduction » le procédé par lequel une théorie scientifique peut être réduit à un cas particulier d’une autre théorie. Exemple : avec la mécanique statistique, la chaleur a été réduite à des problèmes de mécanique. Être réductionniste en biologie consiste donc à dire qu’on peut ramener les lois biologiques à des cas particuliers de la physique par exemple. C’était le problème de la Biologie moléculaire telle qu’elle a été développée en faisant se converger la biochimie et la génétique avec la découverte de la base des gènes.

I Qu’est-ce que la vie et le vivant ?

I.1) La définition par l’âme organisant la matière

Le vivant était défini par Aristote, premier créateur de la zoologie, comme ce qui est « animé », doté d’une âme qui fait croître l’objet et lui permet de se nourrir. L’animal comme le végétal sont formés d’une matière et d’une forme spécifique qui organise cette matière. Il y a invariance des espèces (les Formes) et un renouvellement continu de la matière dans l’individu. Mais ce modèle de la Forme et de la Matière est plus descriptif que vraiment explicatif. De même quand le médecin Xavier Bichat parlait d’une « force vitale » qui résiste à la mort (p. 276).

I.2) Peut-on avoir une définition qui ne soit pas une force mystérieuse ?

Claude Bernard (1813-1878), Introduction à la médecine expérimentale, 1865. Bernard donne une définition intéressante du vivant par l’homéostasie ou « fixité du milieu intérieur ». Un vivant est un être capable de se maintenir en partie indépendamment de fluctuations externes. « C’est un équilibre dynamique qui nous maintient en vie. » Le vivant peut en partie se séparer malgré ses interactions avec l’environnement.

I.3) La notion de « Vie » au-delà du Vivant naturel

Cf. définitions plus large que le vivant au sens habituel avec la notion d’automates cellulaires en algorithmique (comme le « Jeu de la vie » du mathématicien Conway, 1970, où des règles formelles peuvent définir un milieu en « évolution » déterministe). On peut étendre la vie à des formes de vie « artificielle » comme des virus simplement virtuels (parce qu’ils se reproduisent et que parfois ils peuvent muter). La vie est définie désormais par un concept d’information qui se transmet.

II La connaissance du vivant : Peut-on expliquer le vivant ?

II.1) Les causes finales et la différence avec les objets artificiels

Les 4 causes : Cause formelle, cause matérielle, cause motrice et cause finale

La cause formelle est la structure de la chose (par exemple le plan de la maison dans l’architecte). La cause matérielle est l’ensemble des matières qui sont utilisées pour un objet (par exemple les pierres). La cause motrice est ce qui met en mouvement la disposition de la matière et de la forme (par exemple le maçon). La cause finale est ce en vue de quoi la cause motrice est guidée (le projet).

Aristote a donc introduit le « Finalisme » pour expliquer les phénomènes vivants. Quand on voit un vivant comme un embryon, c’est un mouvement de croissance complexe qui ne se fait pas au hasard, les organes (« outils ») se développent vers un but, donc dit Aristote il y a une cause finale qui ne vient pas d’un Architecte mais d’une Cause finale spéciale qui est dans le vivant et qu’il appelle l’Âme ou Forme de ce corps. Aristote a pris un modèle technique pour expliquer le vivant mais il a aussi opposé les deux, substances animées et outils mécaniques.

II.2) Mécanisme contre Vitalisme

II.21) Le Mécanisme et l’abandon des causes finales




La science moderne voit la victoire d’un nouveau Mécanisme (même si dès l’Antiquité, les Epicuriens matérialistes refusaient déjà la Finalité qu’ils jugeaient inexplicable). Tous les phénomènes physiques doivent être expliqués par une physique du mouvement, comme pour les Machines simples. Descartes (cf. p.332), inspiré par la découverte en 1616 de la circulation sanguine (qu’il compare à une sorte de « pompe ») explique qu’il ne doit plus y avoir que des causes mécaniques comme les rouages des machines. « Tout doit s’expliquer par figures et par mouvements », c’est-à-dire que les corps étendus, qu’ils soient vivants ou pas, végétaux ou animaux, n’ont que des explications qui dépendent de la géométrie. Tout le corps est comme un ensemble de mécanismes et de soufflets : le corps est une machine (mais l’homme lui seul est différent par sa conscience et par sa raison). Cf. aussi Spinoza dans l’Ethique p. 272, la finalité est « un asile de l’ignorance »

Cf. cours sur les Techniques, le but de la science est de connaître la nature et de développer une « philosophie pratique » (technologie) pour « devenir comme maître et possesseur de la nature ». Les biotechnologies peuvent modifier l’être vivant.

II.22) Le problème de la téléologie face au Mécanisme

Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, §65 p. 279 « Les limites du mécanisme » Kant se trouve dans un dilemme dans l’explication du vivant. En physique, il considère que Descartes a raison et qu’il faut être strictement mécaniste et déterministe. Mais dans le cas du vivant, il y a des phénomènes qu’on appelle « organismes » qui ne semblent pas pouvoir se réduire aux causes motrices. En mécanique, un agrégat n’est que la somme des parties. Pour le vivant, chaque partie semble viser le tout et le tout organique peut réparer ou reformer certaines parties, comme s’il y avait une « Force Formatrice ». Une montre ne peut ni se réparer, ni produire d’autres montres.

C’est le problème du jugement téléologique (de finalité). Nous ne pouvons pas nous empêcher d’attribuer une finalité aux phénomènes vivants, mais nous n’avons pas une connaissance objective par des lois de cette finalité. Selon Kant, la finalité renvoie donc à notre incapacité à expliquer ces phénomènes organiques sans cela mais ce n’est pas une vraie explication par des causes. La finalité est une « idée régulatrice » pour notre connaissance mais elle ne nous fournit pas de connaissance.

« On dit trop peu de la nature et de son pouvoir pour des productions organisées, quand on l'appelle un analogue de l'art; on imagine alors l'artiste (un être raisonnable) en dehors d'elle. Elle s'organise au contraire elle-même dans chaque espèce de ses produits organisés; dans l'ensemble il est vrai, d'après un même modèle, mais avec les modifications convenables exigées pour la conservation de soi-même suivant les circonstances. Dans la nature les êtres organisés sont ainsi les seuls, qui, lorsqu'on les considère en eux-mêmes et sans rapport à d'autres choses, doivent être pensés comme possibles seulement en tant que fins de la nature et ce sont ces êtres qui procurent tout d'abord une réalité objective au concept d'une fin qui n'est pas une fin pratique, mais une fin de la nature, et qui, ce faisant, donnent à la science de la nature le fondement d'une téléologie, c'est-à-dire une manière de juger ses objets d'après un principe particulier, que l'on ne serait autrement pas du tout autorisé à introduire dans cette science (parce que l'on ne peut nullement apercevoir a priori la possibilité d'une telle forme de causalité). » (Kant, Critique de la faculté de juger)

Le Vitalisme est la théorie selon laquelle il y aurait dans le vivant une sorte de « Force vitale », un élan spécial différent qui le rendrait irréductible au Mécanisme. Le physiologiste Claude Bernard au contraire, dit bien que malgré l’apparente finalité (p. 273), et bien qu’on ne rende pas compte de l’origine du vivant, il faut étudier dans l’expérimentation physiologique le vivant uniquement par des « déterminismes » physico-chimiques cf. Introduction à la médecine expérimentale, p. 274.

II.3) L’évolution et la sélection naturelle comme résolution de l’opposition

Avant même Darwin, on savait qu’il y avait eu des transformations d’espèces avec Lamarck, mais Lamarck n’avait pas d’explication satisfaisante parce qu’il croyait à des transformations acquises par l’individu et transmises ensuite. L’idée originale de Charles Darwin (1809-1882) n’est donc pas seulement l’évolution mais plutôt le mécanisme de sélection naturelle : les individus ont des descendances qui mutent au hasard et les mutants qui se trouvent mieux adaptés à leur milieu sont mieux sélectionnés. La variation du vivant ne vient que du hasard des mutations et des contraintes du milieu. Ils ne mutent pas pour s’adapter, c’est parce qu’ils sont mieux adaptés qu’ils peuvent mieux se reproduire. On peut expliquer les organismes sur des populations sans avoir besoin de finalité. Darwin la publie dans L’origine des espèces, 1859.

En 1953, Watson & Crick découvrent l’ADN et en 1961, Jacques Monod et François Jacob découvrent l’ARN Messager. L’évolution par sélection naturelle a plusieurs conséquences pour notre conception du vivant. Cela contraint à une Continuité des formes de vie et à une contingence (une non-nécessité de ces formes). Jacques Monod (1910-1976) introduit le concept de « téléonomie » (« Forme de finalité admise dans les adaptations biologiques en tant que le but concernerait une utilité immédiate sans considération d'un avenir plus ou moins lointain ») pour conserver la notion de finalité dans un monde sans téléologie, grâce à la notion d’Information.

Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité, 1970, pp 32-33 :

« La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l'objectivité de la Nature. C'est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c'est-à-dire de « projet ». (...) Postulat pur, à jamais indémontrable, car il est évidemment impossible d'imaginer une expérience qui pourrait prouver la non-existence d'un projet, d'un but poursuivi, où que ce soit dans la nature. Mais le postulat d'objectivité est consubstantiel à la science, il a guidé tout son prodigieux développement depuis trois siècles. Il est impossible de s'en défaire, fût-ce provisoirement, ou dans un domaine limité, sans sortir de celui de la science elle-même. L'objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde. Le problème central de la biologie, c'est cette contradiction elle-même, qu'il s'agit de résoudre si elle n'est qu'apparente, ou de prouver radicalement insoluble si en vérité il en est bien ainsi. (…) L'invariance précède nécessairement la téléonomie. Ou, pour être plus explicite, l'idée darwinienne que l'apparition, l'évolution, le raffinement progressif de structures de plus en plus intensément téléonomiques sont dus à des perturbations survenant dans une structure possédant déjà la propriété d'invariance, capable par conséquent de « conserver le hasard » et par là d'en soumettre les effets au jeu de la sélection naturelle. »

L’évolution des sciences du vivant est allée vers un modèle d’explication causal unifié, fondé sur la physique, mais a pu aussi donner une explication du problème de la Finalité. Le vivant est donc à la fois une forme de continuité entre les êtres matériels mais aussi un niveau d’émergence de structures plus complexes que les molécules non-organiques. Une unité de méthode n’exclut pas donc une pluralité de ces niveaux de complexité.

Le vivant pose de plus des questions éthiques. Pour le connaître, il faut pouvoir expérimenter sur le vivant mais le vivant peut aussi ressentir des souffrances ou être en interaction avec nous, ce qui implique au moins certains devoirs moraux vis-à-vis de ce qui est vivant.

jeudi 10 juin 2010

La Raison et la Démonstration





Sujets donnés au baccalauréat :


Peut-on douter d’une vérité démontrée ? (S, 09)

Faut-il vouloir tout démontrer ? (TMD, 2008)

Ce qui est indémontrable est-il pour autant incertain ? (S, 2008)

Y a-t-il d'autres moyens que la démonstration pour établir une vérité ? (S, 2008)

Suffit-il de démontrer pour convaincre ? (S, 2008)

Ne doit-on tenir pour vrai que ce qui est démontré ? (S, 2007)

L'expérience peut-elle démontrer quelque chose ? (S, 2006)

Peut-on démontrer qu'une oeuvre d'art est belle ? (S, 2006)

N'y a-t-il de démonstrations que scientifiques ? (S 2006)

Ce qui est vrai est-il toujours vérifiable ? (L 2006)

La démonstration est-elle une condition de la science ? (S 2005)

Faut-il chercher à tout démontrer ? (S 2004)

Toute vérité est-elle démontrable ? (ES 2004)

Tout ce qui est évident est-il vrai ? (ES 2001)


Une croyance ou opinion peut être vraie ou fausse et se distingue d’un savoir, qui serait non seulement vrai mais qui le serait en raison d’une certaine « méthode fiable ». On a pu proposer plusieurs méthodes pour établir une connaissance vraie : la simple observation par les sens (mais elle conduit à des problèmes de relativité et à des illusions, comme le montrait l’Allégorie de la Caverne de Platon dans la République) ou bien la démonstration par la Raison.

Vocabulaire : L’expérience peut être ce qui est éprouvé, l’instruction tirée des observations ou bien dans le cas scientifique de l’expérimentation « une observation provoquée » (Claude Bernard) pour tester ou critiquer une hypothèse. On appelle connaissance a priori celle qui ne dépend pas de l’expérience et qui peut être établie sur le raisonnement, connaissance a posteriori celle qui dépend de l’expérience.

I Le modèle de la démonstration en logique et mathématique

I.1) Pourquoi démontrer ? Universalité et rationalité

La notion de démonstration apparaît dans les mathématiques grecques. Il s’agit de montrer qu’une proposition est vraie de manière nécessaire et universelle, indépendamment de tout fait singulier ou de conditions particulières. Une démonstration n’est pas simplement montrer la réponse mais déduire pas à pas les étapes pour établir une vérité. Ce n’est pas simplement donner un exemple, ou bien persuader ou intimider, mais un argument qui est nécessairement valide et universellement vrai.

La connaissance démonstrative doit donc être celle qui permettrait le mieux d’éviter l’erreur et pourrait même être retrouvée par tout individu. Pour le montrer, dans le Ménon de Platon, Socrate fait démontrer à un jeune esclave dans le sable une application du théorème de Pythagore en faisant doubler un carré. La géométrie est une connaissance a priori que tous peuvent retrouver (ce que Platon appelle une « réminiscence » de vérités éternelles que l’).

I.2) La forme logique de la démonstration

I.21 La logique et le syllogisme

La logique est la science de la démonstration, ou des inférences valides. Elle est créée par Aristote, dans son ouvrage l’Organon (ce qui veut dire « l’instrument »), et on a pu dire que la logique ne se modifia presque pas de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle avec la nouvelle logique mathématique moderne. Aristote introduit la théorie du syllogisme. Un syllogisme est un raisonnement qui part de deux vérités qu’on a admises et qu’on appelle « prémisses » différentes et en tire une conclusion. Aristote analyse toutes les phrases comme un « sujet » (qui peut être universel, « tous les F », ou bien particulier, « Quelques F ») et ce qu’on dit de ce sujet, ce qui est appelé le « prédicat ». Si les prémisses sont vraies et si on a appliquées les règles du syllogisme, la conclusion sera toujours vraie. « Le syllogisme est un discours dans lequel, certaines choses étant posées, quelque autre chose en résulte nécessairement par cela seul qu'elles sont posées ». (Organon, Premiers Analytiques, I, 1). Le but d’Aristote était de préciser tous les syllogismes valides en trouvant un moyen de reconnaître non seulement les erreurs mais surtout les raisonnements trompeurs ou sophismes, comme « Tous les chats sont mortels, or vous êtes mortels, donc vous êtes des chats. » Son modèle est la formalisation. La démonstration repose sur des « vérités premières » comme le Principe de contradiction (on ne peut affirmer et nier la même proposition) mais ces Principes ne peuvent pas eux-mêmes être démontrés.

I.22 Classification des raisonnements

Ces règles de la démonstration édictées par Aristote furent ensuite appliquées dans le plus complet traité de mathématiques de l’antiquité, les Éléments d’Euclide (-325 / -265). Euclide démontre dans l’ordre chaque théorème en se servant de définitions et d’axiomes ou « postulats ». Il constitue un modèle de rigueur mathématique qui survécut pendant des siècles. Lorsque Descartes fait l’éloge de la certitude et l’évidence des connaissances démonstratives dans sa Méthode (p. 241) il fait toujours référence à ce modèle euclidien. Les questions difficiles étaient de savoir comment obtenir une telle certitude dans d’autres sciences, comme la Physique, mais personne ne doutait que la démonstration mathématique soit valide.

Parmi les formes de démonstrations classiques, on peut notamment distinguer les formes de raisonnement par l’absurde ou « réduction à l’absurde ». Pour prouver la proposition P, on suppose le contraire non-P, puis on tire une contradiction, et de cela on en tire la conclusion que non-P est faux, donc P est vrai (ex. irrationalité de √2). Ce raisonnement repose sur le principe logique du Tiers-Exclu : toute proposition est soit vraie soit fausse et il n’y a pas de troisième cas. Cela a pu être critiqué.

II Limites de la démonstration

1) Arguments sceptiques

Certains Sceptiques ont pu critiquer les résultats de démonstration logique ou mathématique en critiquant la connaissance en général. Ainsi, les sceptiques peuvent dire qu’il y avait toujours un « cercle vicieux », ou diallèle, c’est-à-dire un mauvais raisonnement qui présupposait déjà une vérité qu’il fallait démontrer. Ainsi, Sextus Empiricus (Cf. sur le scepticisme, p. 312) explique que pour distinguer le vrai du faux, il faut un critère mais que pour juger si ce critère est le vrai critère, il faut déjà avoir un critère, donc il ne peut pas y avoir de critère, car cela conduit à une régression à l’infini. Cet argument sceptique implique donc que toute thèse philosophique doit reposer sur des principes, mais elle ne réfute pas la démonstration elle-même.

Au contraire, c’est un raisonnement qui se veut lui-même démonstratif, ce qui pose un autre problème de cercle vicieux.

Objection au scepticisme :Pascal p. 243 : la raison a besoin de principes qu’elle ne peut pas démontrer, mais cela ne signifie pas qu’ils ne soient pas certains. Il y a une certitude différente pour les principes et pour les conséquences ou théorèmes.

2) La « crise des fondements » des mathématiques

Au XIXe siècle, des mathématiciens comme Gauss et Riemann démontrèrent qu’on pouvait construire des géométries non-contradictoires qui niaient certains Axiomes de la géométrie d’Euclide (le 5e Postulat selon lequel par un point extérieur à une droite il passe une droite parallèle à celle-ci). Il y avait désormais plusieurs géométries possibles et les axiomes d’Euclide ne décrivaient plus qu’un cas particulier. Le terme d’axiomatisation ne signifiait plus les principes de la science mais des postulats particuliers et plusieurs axiomatisations différentes sont possibles. Certains mathématiciens ont commencé à douter des fondements des mathématiques. Cela a conduit à un nouveau programme, le « logicisme », la thèse selon laquelle les mathématiques étaient en fait réductibles entièrement à de la logique. Il serait possible d’axiomatiser une théorie, donner la liste des axiomes tels que pour toute proposition vraie de cette théorie, elle est un théorème démontrable. Mais en 1931, Gödel démontre qu’il peut donc exister des propositions qui sont vraies mais non-démontrables. Cela doit donc conduire au-delà des mathématiques aux limites de la démonstration.

3) Un jugement vrai peut échapper à la démonstration

On sait déjà que la démonstration suppose des prémisses ou des hypothèses non-démontrables, mais à présent, on admet aussi dans certains domaines plusieurs axiomatiques différentes possibles : il y a des géométries non-euclidiennes par exemple.

Malgré la mathématisation de la physique, on peut distinguer les connaissances purement démonstratives et celles qui dépendent plus de faits d’expérience. Or comme le remarque le philosophe David Hume (Manuel, p. 245), on peut opposer la déduction qui conclut une inférence de manière valide, à l’induction qui fait une généralisation empirique à partir d’observations et d’expériences. Il faut distinguer les vérités d’expérience ou historiques et les vérités purement rationnelles. Certaines postulats dépassent le démontrable. De plus, des jugements de valeur, qu’ils soient moraux ou esthétiques, ne peuvent peut-être pas être « prouvés » scientifiquement, même s’il est possible d’appliquer la Raison pour en discuter.

III L’expérience peut-elle « démontrer ? »

1) De l’expérience brute au rôle de la Raison

Faire une expérience peut être ressentir, éprouver de manière immédiate mais la sensation s’accompagne d’un jugement de perception qui suppose une activité de l’entendement (voir la Conscience) : quand je sens quelque chose, je perçois aussi des faits ou j’interprète d’après les théories ou les préjugés que je peux avoir. C’est ce qu’explique le philosophe de la physique Gaston Bachelard (1884-1962). « En science, rien n’est donné tout est construit » écrit Bachelard dans La Formation de l’esprit scientifique (1938), on n’a pas seulement des observations directes mais une élaboration théorique pour « guider » les observations. Il y a une rupture entre les préjugés confus de l’expérience ordinaire et l’expérimentation de l’esprit scientifique (ex. la masse en physique est différente de l’intuition du « poids »). La science moderne est née avec un modèle rationaliste des mathématiques, par exemple avec la géométrie de Descartes (le principe d’inertie en Mécanique). Selon le rationalisme, la Raison humaine peut connaître a priori certaines vérités et toute la science doit ensuite suivre l’ordre d’une déduction, même s’il n’y a pas assez de données empiriques. Faire une déduction consiste à conclure une proposition à partir d’une autre, selon le modèle de la démonstration.

2) L’empirisme et le Problème de l’Induction

L’empirisme est la doctrine philosophique selon laquelle toute la connaissance vient de l’expérience. La connaissance empirique repose sur l’induction. Une induction, par opposition à la déduction, consiste à passer de l’observation de faits particuliers (des expériences) à une loi générale ou une prédiction générale. L’induction est indispensable pour tout connaissance a posteriori mais elle peut aussi se tromper et on peut faire des généralisations fautives qui ne valent peut-être pas de manière définitive. Elle peut être vraie en général, la plupart du temps, sans être nécessairement et universellement valide.

Le philosophe empiriste David Hume a montré le Problème de l’Induction dans son Enquête sur l’entendement humain, 1748 (Manuel p. 245, 315). Il faut distinguer les simples relations entre idées et les questions de faits. La connaissance des relations entre idées peut être nécessaire (parce qu’elle est entièrement a priori) mais la connaissance des faits repose sur l’induction et n’est donc pas un jugement nécessaire sans exception. Il serait contradictoire et impossible de dire que « 3 x 2 » n’est pas égal à 6 alors qu’il n’y a aucune contradiction à concevoir que « le soleil ne se lèvera pas demain ». Il ne serait pas contradictoire ou impossible logiquement que le soleil ne se lèvera pas demain mais nous avons l’habitude que les faits suivent des régularités.

Notre connaissance de la nature dépend de la Causalité, le fait que des mêmes causes s’ensuivent les mêmes effets. David Hume était un sceptique « modéré ». Il ne doute pas du fait que nous avons des impressions et que nous croyons fermement à certaines de nos croyances. En revanche, il nie que la Causalité puisse être démontrée comme nécessaire ou certaine. Selon lui, elle est une croyance très probable, très solidement implantée à laquelle nous ne pouvons pas nous empêcher de croire seulement parce que nous y sommes habitués. Mais ce n’est pas une preuve démonstrative valide.

Objection au Scepticisme humien : Kant répond à cet argument dans la Critique de la raison pure (1780). Kant reconnaît comme les empiristes qu’il faut avoir des sensations et des expériences pour connaître. Mais il considère que la connaissance ne peut pas se limiter à ces inductions sans quoi les lois de la nature ne seraient que des habitudes régulières et non des lois universelles et nécessaires. Selon lui, la raison a des principes a priori et la connaissance consiste à appliquer ces principes à nos expériences pour faire de la science. En ce sens, la connaissance n’est donc pas seulement un résultat passif des observations et des inductions passées. C’est aussi interpréter et expliquer les phénomènes observés. La connaissance suppose non seulement les observations mais aussi des expérimentations et des théories rationnelles.

3) L’expérience scientifique, la réfutabilité et la théorie

Le biologiste Claude Bernard (1813-1878) a proposé des règles de base de la méthode des expériences en laboratoire dans son livre Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865). Cf. p. 273. La science n’est pas uniquement observation et accumulation de données. Elle suppose de faire des hypothèses à partir des observations et de vérifier ensuite si ces hypothèses sont correctes. On fait une hypothèse puis on déduit un moyen de la vérifier et ensuite on fait un test expérimental pour confirmer ou réfuter l’hypothèse. C’est la méthode dite « hypothético-déductive ». Des faits observés pourraient donner de nombreuses inductions vagues ou contradictoires. Selon le philosophe des sciences Karl Popper (1902-1993), la méthode scientifique ne cherche pas seulement des inductions qui ne seraient jamais achevées puisqu’il peut toujours y avoir des observations futures. Une induction est une connaissance générale imparfaite. La science fait en fait des conjectures qui sont des jugements universels et tente ensuite de les réfuter. Plus une science a de chance d’être réfutée dans une expérience (« falsifiability »), plus elle sera informative et intéressante.

Les croyances ou les fausses sciences ne cherchent jamais à être testées, mais la science au contraire cherche toujours les exceptions ou les problèmes qui permettent d’enrichir la théorie. Une théorie scientifique est caractérisée par sa réfutabilité. Elle peut être corrigée ou révisée par l’examen critique de ces cas. Une théorie scientifique n’est jamais définitivement prouvée par les observations mais elle est toujours prête à affronter de nouvelles expériences. La fonction de la démonstration expérimentale est donc « négative », elle sert à infirmer par des Tests et pas seulement à confirmer. L’expérience en ce sens ne s’oppose donc pas à la théorie : on fait des expériences dans une théorie pour voir si elle a des limites. Ainsi, l’expérience suppose aussi l’activité théorique du chercheur pour trouver ce qu’il faut expérimenter.

La Politique, la société et l'Etat





Manuel p. 332-355.



Sujets de baccalauréat

La société

Peut-on concevoir une société sans conflit ? L 2008

La société n'est-elle qu'un regroupement d'individus ? S 2007

Une communauté politique n'est-elle qu'une communauté d'intérêts ? S, 2006

En quoi la société a-t-elle besoin de savants ? (S, 2005)

Ne vit-on en société que par nécessité ? (ES, 2004)

Les hommes peuvent-ils s’associer sans renoncer à leur liberté ? (S, 2004)

La politique et l’État

L’Etat peut-il être impartial ?(ES 09)

L'Etat a-t-il tous les droits ? (S 09)

L'autorité politique se fonde-t-elle sur une compétence ? (L, 08)

La liberté individuelle est-elle un danger pour l'Etat ? (S, 2008)

La loi doit-elle rendre les hommes heureux ? (STG, 2008)

L'Etat peut-il assurer à la fois la liberté et la sécurité des individus ? (S 08)

Est-ce à la loi de décider de mon bonheur ? (STG, 2008)

Que vaut la loi du coeur contre la loi de l'Etat ? (L, 2008)

L'action politique peut-elle subordonnée à la morale ? (S, 2007)

Peut-on se passer de l'Etat ? (STG, 2007)

L'Etat est-il au-dessus des lois ? (S, 2007)

Une communauté politique n'est-elle qu'une communauté d'intérêts ? (S, 2006)

L'action politique doit-elle être guidée par la connaissance de l'histoire ? (ES, 2005)

Les hommes ont-ils besoin d'être gouvernés ? (S, 2004)

L'Etat est-il menacé quand les citoyens discutent les lois ? (S, 2004)

Doit-on tout attendre de l'Etat ? (L, 2004)

Les hommes ont-ils besoin d'être gouvernés ? (S, 2004)


L'individu et la société peuvent exister sans Etat mais il n'y a que très abstraitement des individus humains sans aucune « société » (au moins familles, communautés si ce n'est la société au sens économique comme société civile, comme le dit Marx, l'homme n'est pas fondamentalement comme Robinson Crusoë un individu isolé qui peut recréer toute une culture et technique humaine tout seul).

L’Etat est une autorité politique souveraine, civile, militaire ou éventuellement religieuse, considérée comme une personne juridique et morale, à laquelle est soumise un groupement humain, vivant sur un territoire donné.

Les individus s’associent et l’une des raisons pour s’associer peut être la relation d’échange, échange entre famille (mariage) et échanges économiques. Tout groupement humain tend à une division du travail et donc à des échanges (voir aussi sur le Travail, textes de Smith p. 168 et Durkheim p. 169).

I De la Nature à la Société et à l'Etat

I.1) L'origine naturelle de la société et de l'Etat

On oppose souvent l’état de nature et l’état social. Pourtant, à un certain point de vue, ne pourrait-on pas dire que la société a une origine naturelle et qu’on peut parler de société animale ? Par exemple en « sociobiologie », on peut étudier le fonctionnement de certains insectes sociaux et de pratiques de « solidarité sociale » dans des groupes d’animaux. Cependant, ces « sociétés » avec leurs divisions ont été formées par la sélection naturelle et donc dans les instincts, et non pas par des choix politiques réfléchis.

Pour Aristote, dans la Politique (Manuel p. 347), la Cité-Etat est issue de la Nature (et non pas d'un contrat artificiel). Il y a un processus continu qui vient de la Famille, du Village jusqu'à la Cité. Il y a toujours des gouvernants et des gouvernés mais en même temps, ce n’est qu’une analogie : la Cité ne se gouverne pas comme une famille. La Cité est une fin naturelle qui a atteint l'indépendance ou autosuffisante (autarcie). Elle est formée à cause d'intérêts (pour les besoins économiques) mais elle existe ensuite pour bien vivre (non pas seulement vivre mais aussi avoir « l'amitié » et le bonheur). Toute la théorie d'Aristote est un finalisme. La fin est l'état de perfection ou d'accomplissement vers lequel tend un être. La Cité n'est pas composée par assemblée d'individus mais elle est antérieure aux citoyens, comme les organes supposent déjà l'organisme complet dans lesquels ils s'associent (p. 362). L'homme est par nature un « animal politique ». Celui qui vit sans l'Etat n'est plus vraiment un animal, encore plus qu'un animal social et grégaire. « La nature ne fait rien en vain, et l'homme seul de tous les animaux possède la parole. » L'homme peut délibérer et discuter de politique grâce au langage.

I.2) L'homme est-il sociable par nature ?

L'homme est-il vraiment « par nature sociable » ? Hobbes disait qu'il était par nature au contraire insociable mais que cela le conduit donc à passer à la société, pour éviter la guerre et pour accéder à des droits positifs comme la protection de la propriété privée. Rousseau disait dans son modèle d'état de nature que l'homme n'est pas encore sociable et qu'il peut se disperser mais qu'il est fait pour se moraliser dans la vie sociale (cf. Du Contrat social, I, 7-8).

Kant, dans Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784) dit que la nature a mis en l'homme un antagonisme contradictoire « l'insociable sociabilité » (Manuel p. 64) : pas assez sociable pour vivre en paix mais trop pour vivre isolé, ces conflits nous conduit à la société pour surmonter les conflits (cf. Schopenhauer p. 349 la fable des « porcs-épics »). L’homme a besoin de « chef », d’une autorité, parce qu’il ne suit pas assez sa raison pour se passer d’une autorité de coercition (l’anarchie ne serait possible que pour des bêtes en dessous de nous ou au contraire pour des êtres supérieurs à nous), mais en même temps il doit être autonome et ne doit donc pas avoir de despote (cf. Idée d’une histoire, VI, l’homme est un animal qui a besoin d’un maître, il est fait d’un tel bois tordu qu’on ne peut en tirer rien de droit).

I.3) La société contre l’Etat

Cela ne signifie pas que l’homme soit nécessairement fait pour l’Etat. Il faut distinguer la question de l’origine des sociétés et l’origine de l’Etat, l’association et le gouvernement.

Exemples de société sans Etat chez l’anthropologue Pierre Clastres, La société contre l'Etat p. 352 : ces sociétés n'ont pas la structure économique pour permettre l'émergence de l'Etat (d'une institution séparée au-dessus de la société), elles cherchent même à l'empêcher. Ce ne serait que par ethnocentrisme que nous pensons que l’Etat avec sa bureaucratie est une fin de toute société. Les théories de l'origine de la société et de l'Etat supposent souvent un mouvement continu, que ce soit par un Contrat ou non, mais l’anthropologie montre que cette évolution introduit en fait des ruptures.

Mais même si l’Etat n’était pas une nécessité historique absolue, ne peut-on justifier sa rationalité ?)

II La fondation historique et la légitimité de l’Etat

II.1) Les fondements historiques de l'Etat : n’y a-t-il que des rapports de force ?

On peut dire que dans les faits, il n’y a pas de « fondement légitime », il n'y a que des rapports de force. Les Etats sont souvent formés par des fondations violentes (coups d’Etat, usurpation). Hume dit que l'Etat n'existe que parce qu'on oublie ces origines réelles et qu'on s'y habitue, par convention (« Du Contrat originaire », dans ses Essais moraux et politiques, 1748). De même Hegel p. 350-351, critique du Contrat social en disant qu’en fait les Etats sont de lentes évolutions historiques.

La seule justification pourrait n’être que la stabilité. C’est notamment l’idée de Nicolas Machiavel (1469-1527) dans Le Prince (1513). Manuel p. 209-210. Machiavel propose une conception dite « réaliste » de la politique (voire « amorale », « machiavélique » a fini par signifier une politique prête à tout pour arriver à ses fins). Il est le premier à décrire la politique comme une « technique », moralement neutre pour garder le pouvoir. Contre toute la tradition philosophique de Platon et Aristote qui lie l'éthique et la politique, Machiavel dit que ce qui importe en politique est surtout la durée et la survie du régime. Mieux vaut un régime stable qu'un gouvernement moral qui échoue et s'effondre. Il ne faut apparaître comme moral que par intérêt (pour plaire au public) mais il faut savoir mentir et tromper. Quand il s’agit de politique, « la fin justifie les moyens » (paraphrasé notamment dans Le Prince, chapitre XVIII) : La politique peut sacrifier des règles morales au nom de la Raison d’Etat mais le vrai chef d’Etat a pour fin le bien public de son Etat et non pas seulement son intérêt de tyran à court terme.

Mais la définition de l'Etat n'est pas n'importe quelle puissance violente, mais le « monopole de la violence légitime ». Le sociologue Max Weber (1864-1920) distingue dans sa conférence Le Savant et le politique (1919) trois fondations possibles d'autorité politique : pouvoir charismatique (on obéit à un individu parce qu'on est impressionné par l'individu), pouvoir traditionnel (on obéit parce que c'est la tradition) et enfin pouvoir légal (on obéit à la loi, à une administration qu’on juge rationnelle).

L'idée d'Etat est censée être une autorité transcendant la société civile et qui n'exprime pas seulement la domination d'une classe sur les autres mais l'intérêt général. Cela conduit à poser la question de la légitimité de l'Etat.

II.2) L'Etat légitime et le droit

Cf. Cours sur la liberté. Rousseau, Du Contrat social I, 4 (Manuel p. 369-370): il faut qu’il y ait une différence entre la domination par la force et une autorité légitime à laquelle nous consentons. Rousseau croit comme Hobbes que les droits reposent sur le Contrat, et non des droits naturels, si ce n’est la liberté inaliénable. Mais Rousseau ne tient pas toujours compte de la division des pouvoirs et des contre-pouvoirs pour garantir effectivement les libertés de l’individu particulier face à la Volonté générale.

Théorie libérale de Locke, Traité du gouvernement civil (1790), l'Etat doit respecter des « droits naturels » des individus, comme la propriété privée. Pour Locke, l’Etat n’est que le garant de la protection de la société civile, et de la propriété des citoyens. Il ne peut confisquer la propriété puisqu’elle est la finalité de l’Etat, et Locke la place même au-dessus de la sécurité individuelle.

Dès lors, ne peut-il y avoir opposition et conflit entre la société (les intérêts économiques des différentes classes sociales) et l’Etat (ses buts politiques) ?

III L'Etat face à la société civile

III.1) L'Etat dépend-il trop de la société civile ?

La définition de l'Etat moderne l'oppose à la société civile : voir Hegel, Principes de philosophie du droit, p. 350 et p. 408. L'Etat doit permettre la liberté des citoyens, et ne pas se réduire aux différences économiques de la société civile. Selon Hegel, l’Etat doit donc surmonter la société civile.

Le débat entre l’Etat et la société se retrouve dans celui entre la théorie républicaine, issue de Rousseau, et les différentes communautés. L'Etat républicain, par la laïcité et la neutralité, prétend dépasser les différentes communautés sociales, religieuses, les ethnies et ne reconnaître que des citoyens égaux. A l’opposé, le communautarisme serait la théorie selon laquelle toute personne dépend en fait d’une communauté et ne peut avoir des droits et des intérêts que par rapport à ces groupes.

La seconde critique du rôle de la société civile sur la politique est celle du socialisme.

Selon le matérialisme historique de Karl Marx, la politique représente l'économie. Tout Etat est trop dépendant de la société civile. L’Etat exprime en fait toujours la domination d'une classe sociale sur les autres (cf. texte d’Engels p. 351)). La féodalité était la domination des nobles qui possédait les terres, l’Etat moderne est la domination des propriétaires et capitalistes industriels. L'Etat démocratique moderne (bourgeois) qui assure l'égalité entre citoyens, l'égalité seulement « formelle » et non pas réelle, ne servirait qu'à dissimuler l'inégalité économique. Le communisme dit que l'Etat doit prendre le contrôle des moyens de production à la place des classes sociales qui possèdent les capitaux, mais la théorie de Marx est que le but est d'arriver ensuite à faire disparaître l'Etat (thèse du dépérissement de l’Etat), passer du socialisme (appropriation collective) au communisme une fois que la société pourrait s’en passer.

III.2) L'Etat régule-t-il trop la société civile ?

Le problème de l'Etat moderne est un développement de la bureaucratie et de ses différentes fonctions. Le risque est qu'à force de surmonter et organiser la société civile, il absorbe toute la société.

C’est la critique des dérives de l’Etat par le libéralisme politique. Voir Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835, p. 369 : la démocratie moderne ne conduit pas nécessairement à une dictature mais elle habitue à un « despotisme mou », où les individus attendent tout de l’Etat, même sans s’en rendre compte. Ils cherchent donc moins à défendre leurs libertés qu’à disposer de ce qu’apporte l’Etat. L’homogénéité introduite par l’égalité risque de primer sur la liberté. La bureaucratie, même « bienveillante », ruinerait alors les individus. Les Libéraux insistent sur les libertés « négatives », liberté des particuliers de résister à l’Etat, contre une théorie qui met toute la liberté seulement dans la délibération politique et l’espace public. Rousseau et la Révolution jacobine aurait trop dépendu d’une conception antique de la liberté réduite à la participation aux affaires politiques.

La forme extrême du contrôle de l’Etat sur la société est le « totalitarisme ». Le mot vient du fascisme italien de Mussolini et il est ensuite généralisé à différents systèmes politiques, fascisme et communisme soviétique par Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, 1951. La différence entre la tyrannie classique et le totalitarisme est que le dictateur classique voulait le pouvoir mais qu'il pouvait rester hors de la société civile alors que le totalitarisme est la doctrine où l'Etat absorbe toute la société civile : il n’y a plus de Corps intermédiaires entre l’individu et l’Etat, plus de droit à des associations ou des syndicats indépendants. Un Parti unique d’Etat prend le contrôle de tous les aspects sociaux au nom d’une philosophie obligatoire : il n’y a plus de vie publique, plus d’espace pour une libre discussion.

Hegel a vu dans l’Etat une organisation rationnelle qui devait échapper à la domination économique de la société civile mais sans non plus contrôler toute cette société civile (cf. p. 408 L’Etat comme condition pour la liberté). Il y aurait deux risques opposés d’un Etat trop faible si les intérêts économiques ou les conflits communautaires dirigent tout, et d’un Etat trop dictatorial s’il ne reconnaît pas aussi un espace qui ne lui est pas complètement soumis (cf. cours sur la Liberté, le Bonheur, la Justice).

Au-delà des Etats, les citoyens peuvent aussi construire une Société des Nations qui dépasserait les conflits et les intérêts exclusifs des Etats-Nations. C’est l’idée de « cosmopolitisme » (cf. Kant, Idée d’une histoire universelle, 1784).

Cours sur la Justice et le Droit





Sujets donnés au baccalauréat :



Pour être juste, suffit-il d'obéir aux lois ? S 2008

Toutes les inégalités sont-elles des injustices ? ES 2008

Est-ce à la justice de dire où est le mal ? S 2008

L'homme injuste peut-il être heureux ? STG 2008

Le droit doit-il tenir compte des différences entre les individus ? L 2008

La recherche de l'égalité peut-elle être injuste ? ES 2007

Peut-on être injuste avec soi-même ? S 2007

La loi pourrait-elle se passer des juges ? ES 2007

Appliquer des lois justes suffit-il pour assurer la justice ? L 2007

Le droit peut-il défendre l'égalité tout en respectant les différences ? S 2006

Faut-il choisir entre liberté et égalité ? ES 2006

Le droit sert-il à établir l'ordre ou la justice ? ES 2006

Le juste et l'injuste ne sont-ils que des conventions ? L 2005

La justice est-elle affaire de morale ? L 2005

Suffit-il de traiter tous les hommes de la même façon pour être juste ? S 2005

Comment décider qu'un acte est juste ? S 1998

La paix peut-elle s'accommoder de l'injustice ? L 1996

Peut-on concilier les exigences de la justice et celles de la liberté ? ES 1995

Peut-on concevoir la justice sans l'Etat ? S 1994

La justice ne peut-elle être définie que comme un idéal ? ES 1991

Suffit-il, pour être juste, d'obéir aux lois et aux coutumes de son pays ? S 1990

A quel type d'égalité renvoie l'exigence de justice ?

Ce qui est légal est-il nécessairement juste ?

A qui appartient-il de décider du juste et de l'injuste ?

Une société est-elle d'autant plus juste que l'ordre y règne ?

La loi n’a-t-elle pour fin que la sécurité ?

Suffit-il, pour être juste, d'obéir aux lois et aux coutumes de son pays ?

Peut-il être juste de désobéir ?

Est-ce par devoir ou par intérêt qu'il faut être juste ?

Le critère d'une société juste est-il l'égalité ?

Un acte de justice ne risque-t-il pas d'être un acte de vengeance ?

Le châtiment peut-il ne rien devoir au désir de se venger ?

La justice a-t-elle pour but de venger la société et de la protéger du criminel ?


Voir le Manuel, p. 356-375. Repères En fait / en droit p. 454, Légal / légitime p. 458

La justice ne se limite pas à l’ensemble des institutions juridiques du Droit (« positif ») ou aux lois.

Les lois au sens politique et juridique sont des règles obligatoires édictées par une autorité et qui organisent les actions en société, qui instaurent des droits et des interdictions[1]. Mais la justice, ce qui est juste, équitable est aussi un principe moral : « que chacun reçoive ce qui lui est dû », selon son mérite. Ce qui est légal est conforme au droit et aux lois existantes, mais ce qui est légal n’est pas nécessairement toujours juste. Une loi n’est pas toujours légitime et conforme à ce qui devrait être le cas, si elle est imposée par une autorité qui ne respecte pas certains principes qu’il faut déterminer.

I D’où viennent les lois et comment déterminer ce qui est juste ?

I.1) Les lois politiques et l’état de nature

Voir cours sur la Liberté, I sur la liberté politique, la sécurité et l’état de nature.

Pourquoi les hommes se sont-ils donné des lois ? Ce peut être parce qu’elles sont utiles pour atteindre l’ordre et la sécurité des biens et des personnes comme le pense Hobbes. Mais les lois permettent au-delà de l’ordre de viser un idéal plus général, la liberté des citoyens et l’égalité de tous devant des lois. Les lois « positives » - c’est-à-dire les droits « posés », acquis ou institués dans une société particulière – ne font pas qu’interdire et réprimer. Le positivisme juridique est la théorie selon laquelle on doit en rester à ce droit positif sans poser la question de ce que devrait être la Justice. Elles servent aussi à instituer de nouveaux droits, à organiser les contrats entre les individus – par exemple le droit du travail dans les contrats entre employeurs et salariés.



On pourrait aussi dire comme Blaise Pascal (Pensées Br. 294, Manuel p. 368-369) que la vraie justice est inconnaissable mais que nous avons intérêt à nous fonder sur les coutumes réelles et le droit positif, malgré leur relativité. Mieux vaut un droit positif imparfait qu’une guerre perpétuelle sur ce que serait une Justice parfaite.

I.2) Pourquoi obéit-on aux lois ?

On n’obéit pas toujours aux lois en suivant un principe moral ou par respect des lois.

L’obéissance peut parfois être une simple habitude, une conformité. On peut se soumettre à la loi par tradition ou par soumission à la force (cf. Mythe de Gygès).

Mais comme le dit Rousseau dans le texte extrait du Contrat social, I, 3, Manuel p. 369, les lois ont certes besoin de la force pour être appliquées et protégées mais les simples rapports de force, ce qu’on appelle abusivement le « droit du plus fort », n’est pas un principe juste, ce n’est pas un vrai « droit », mais une domination « de fait ».

Il n’y a pas de justice sans droit positif réel et sans force, sans pouvoir exécutif, mais la force ne peut faire un droit. La force est donc nécessaire mais pas suffisante pour la justice.


I.3) La loi « positive » n’est pas toujours juste

Une loi édictée par un pouvoir politique peut être un décret tyrannique si elle ne respecte pas des principes de justice. Ce problème est posé depuis l’Antiquité par la légende d’Antigone (cf. tragédie de Sophocle, Manuel p. 365). Antigone explique qu’elle ne peut pas reconnaître une loi humaine qui va selon elle contre une loi « plus sacrée ». Il serait alors légitime (moralement) de désobéir à une loi injuste, même si c’est illégal.

A l’inverse, quand Socrate fut condamné à mort pour impiété à Athènes, il refusa de s’enfuir, selon le Criton de Platon (Manuel p. 366). Socrate expliqua que la condamnation était injuste mais qu’il ne voulait pas commettre une autre injustice en transgressant les Lois de sa Cité qu’il voulait défendre. Mais n’a-t-on pas le droit de « désobéissance civile », en refusant d’appliquer des lois injustes ?

Le Droit positif peut conduire à des règles complexes qui peuvent être injustes, avantager ceux qui disposent des meilleurs plaideurs, les spécialistes juridiques comme les Sophistes qui connaissent les méthodes pour persuader un auditoire ou un jury. Un tribunal peut parfois commettre des erreurs judiciaires. Les décisions juridiques peuvent dépendre plus du talent oratoire ou de la connaissance du droit positif que de ce qui est juste. En ce cas, le Droit n’est donc pas suffisant et il faut poser aussi la question morale de la justice en plus de la question politique et juridique de la loi.

II L’idéal de justice

II.1) La justice, l’égalité et l’équité

Une loi n’est pas simplement n’importe quel ordre ou décret arbitraire dans un État de droit. Une loi juste doit valoir de manière générale pour tous les membres de la société. L’idée de droit naturel suppose des normes universelles qui permettent de juger si une loi positive d’un pays est juste.

La loi juste suppose l’égalité civile de tous devant la loi (égalité en droit, « isonomie »), il ne doit pas y avoir de privilège qui favorise certains ou désavantagent d’autres. Cf. Rousseau, Du Contrat social, II, 6 : la loi doit être expression de la « volonté générale », Manuel p. 373.

Mais la justice n’est pas la même chose que l’égalité totale. Traiter tout le monde dans toutes les circonstances de la même façon serait « égalitaire » mais sans être juste. On peut distinguer une justice corrective (on vous rend exactement ce qui vous a été pris) et une justice distributive (on répartit à chacun honneurs ou fortune, mais pas de la même manière). La justice suppose, dit Aristote dans, non pas l’égalité stricte numérique mais une égalité par proportion : à chacun selon son mérite. Celui qui a mérité plus doit avoir davantage, et vice versa (Politiques, V, Manuel p. 375, et la « méritocratie » républicaine).

De plus selon Aristote, la justice suppose plus qu’une loi strictement égale dans tous les cas. Selon l’Ethique à Nicomaque, livre V, Manuel p. 374, l’équité est la loi appliquée et adaptée.

Des lois strictes et précises dans tous les cas pourraient conduire à des injustices si on ne les applique pas avec nuance dans les cas particuliers (voir le proverbe : Summum jus, summa injuria : le comble du droit serait le comble de l’injustice). Ici, l’équité peut demander qu’on corrige une loi générale. C’est pourquoi les juges doivent tenir compte des situations particulières, des cas individuels et pouvoir faire des exceptions.

2) Droits formels et justice sociale

Certains philosophes comme Karl Marx ont critiqué le Droit positif des sociétés bourgeoises comme injuste parce qu’en traitant le pauvre de la même manière que le riche ou le puissant, il avantagerait ce dernier. Selon Marx, le Droit ne donne que la forme de la justice mais pas son contenu réel. Il refuse un droit purement « formel » au nom de l’égalité réelle. Par exemple, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantit l’égalité (« abstraite ») des droits et le droit de propriété privée, mais pas des droits sociaux, droits à une égalité réelle des conditions sociales. Comme le disait Lacordaire (sur la liberté du contrat de travail), « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Pour résoudre cette difficulté, le philosophe américain contemporain John Rawls (1921-2002) a proposé une nouvelle théorie du Contrat social dans sa Théorie de la Justice (1971), Manuel p. 371. Selon Rawls, le critère de justice est que l’individu peut accepter cette inégalité s’il ignore sa propre position dans la société (c’est ce qu’il appelle le Voile d’ignorance). On doit être en quelque sorte aveugle à sa propre identité (à sa classe sociale, à ses propriété, à sa race, son sexe, sa communauté) quand on délibère de ce que serait le Contrat social juste. Le Voile d’ignorance est une méthode de procédure pour définir l’impartialité dans la définition de la justice. Par exemple, il peut être juste d’avantager des handicapés dans le droit au travail pour favoriser « l’égalité des chances » : un individu qui ignore s’il est lui-même handicapé et qui sait qu’il y a des discriminations envers eux accepterait cette correction de la discrimination.

John Rawls défend une théorie « libérale » de la Justice distributive, au sens du libéralisme politique, qui part des droits des individus (mais sa théorie suppose le rôle de l’Etat pour intervenir dans l’économie contre les inégalités sociales). Il distingue deux Principes dans sa théorie de la justice.

Le Premier principe (Egale Liberté) est que chaque individu a droit aux mêmes libertés fondamentales égales pour tous (le plus de libertés telles que cela soit compatible avec celles des autres : libertés dites « formelles », liberté de conscience, d’expression, libertés politiques « négatives »). Le Second principe (Différences justes) est que toute inégalité de traitement doit être telle qu’elle soit à l’avantage de tous (et le critère est notamment qu’une différence doit profiter à ceux qui seront les plus désavantagés), et que toute différence soit attachée à des positions et fonctions accessibles à tous (égalité des chances).

Pour Rawls, le premier principe a une priorité sur le second, pour éviter le risque que l’Etat supprime ces droits-libertés. Il faut garantir « l’égale liberté » au-dessus de toute différenciation ou inégalité réelle de fonctions (ce qui s’oppose à la critique du formalisme de l’égalité en droit).

III La loi comme condition de la justice

III.1) La loi du Talion et le ressentiment

L’origine de nos rapports juridique peut parfois être l’envie ou bien le désir de se venger, ce qu’on appelle le ressentiment. La loi du Talion dit « Œil pour œil, dent pour dent » et les premiers droits supposaient une réciprocité parfaite (justice correctrice) entre la faute et sa punition ou rétribution. Selon Friedrich Nietzsche dans la Généalogie de la morale, la « justice » n’est pas en fait le vrai but de nos lois. Le Droit et la morale ne feraient que déguiser un désir de vengeance. Nous ne voulons pas vraiment la justice mais faire souffrir celui qui nous a fait souffrir. Selon Nietzsche, même les idées d’autonomie et de responsabilité ne servent qu’à justifier un désir de dominer les autres et de les punir.

La loi n’a-t-elle pas alors de vraie fonction de « justice » impartiale ?

III.2) Les corrections et les progrès des lois positives

La justice est un rapport plus universel que la vengeance. C’est l’Etat qui doit juger et punir, et non les individus qui se vengent. C’est pourquoi les désirs de vendetta ou de lynchage des individus ne peuvent pas justifier les peines. La justice ne fait pas que traduire et exprimer nos passions, nos craintes et nos ressentiments. Au-delà du droit des victimes ou de l’ordre social, le droit vise aussi des normes de civilisation, qui dépassent le simple rétablissement de la sécurité. Voir le texte de Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821: le droit positif ne se réduit pas aux volontés et intérêts individuels, il les dépasse dans le rapport plus universel imposé par l’Etat. Ce sont des magistrats et des lois qui jugent, et non des familles voulant réparation. Cf. Manuel p. 372. Le droit a progressivement pris en compte la responsabilité des criminels, les circonstances atténuantes et les possibilités de réhabilitation. En ce sens, la justice n’est pas qu’une vengeance « légitimée », elle s’oppose par sa procédure à ces représailles violentes ou à des châtiments cruels (interdiction de la torture).

Par exemple, l’abolition de la peine de mort fut d’abord proposée par le juriste Beccaria au XVIIIe siècle (dans Des Délits et des peines, 1764), au nom d’une théorie du « Contrat social » : les individus ont transmis certains droits et libertés naturelles à l’Etat, mais non pas leur vie. L’Etat peut en temps de paix leur retirer leur liberté de mouvement et les emprisonner, mais pas leur retirer tout droit, les torturer ou les tuer, quels que soient les désirs de vengeance des victimes ou des familles.


Les lois positives ne sont donc pas toujours justes et doivent pouvoir être critiquées, débattues et examinées librement.
Mais c’est aussi par la loi qu’on peut limiter le pouvoir arbitraire ou corriger des injustices. Les lois sont donc une condition de la justice, mais aussi de la liberté.



[1] Il faut distinguer le Droit (objectif) comme ensemble de normes prescriptives (comme le droit positif) et un droit (subjectif) comme liberté ou permission (exemple : droit de résistance à l’oppression).