jeudi 10 juin 2010

La Raison et la Démonstration





Sujets donnés au baccalauréat :


Peut-on douter d’une vérité démontrée ? (S, 09)

Faut-il vouloir tout démontrer ? (TMD, 2008)

Ce qui est indémontrable est-il pour autant incertain ? (S, 2008)

Y a-t-il d'autres moyens que la démonstration pour établir une vérité ? (S, 2008)

Suffit-il de démontrer pour convaincre ? (S, 2008)

Ne doit-on tenir pour vrai que ce qui est démontré ? (S, 2007)

L'expérience peut-elle démontrer quelque chose ? (S, 2006)

Peut-on démontrer qu'une oeuvre d'art est belle ? (S, 2006)

N'y a-t-il de démonstrations que scientifiques ? (S 2006)

Ce qui est vrai est-il toujours vérifiable ? (L 2006)

La démonstration est-elle une condition de la science ? (S 2005)

Faut-il chercher à tout démontrer ? (S 2004)

Toute vérité est-elle démontrable ? (ES 2004)

Tout ce qui est évident est-il vrai ? (ES 2001)


Une croyance ou opinion peut être vraie ou fausse et se distingue d’un savoir, qui serait non seulement vrai mais qui le serait en raison d’une certaine « méthode fiable ». On a pu proposer plusieurs méthodes pour établir une connaissance vraie : la simple observation par les sens (mais elle conduit à des problèmes de relativité et à des illusions, comme le montrait l’Allégorie de la Caverne de Platon dans la République) ou bien la démonstration par la Raison.

Vocabulaire : L’expérience peut être ce qui est éprouvé, l’instruction tirée des observations ou bien dans le cas scientifique de l’expérimentation « une observation provoquée » (Claude Bernard) pour tester ou critiquer une hypothèse. On appelle connaissance a priori celle qui ne dépend pas de l’expérience et qui peut être établie sur le raisonnement, connaissance a posteriori celle qui dépend de l’expérience.

I Le modèle de la démonstration en logique et mathématique

I.1) Pourquoi démontrer ? Universalité et rationalité

La notion de démonstration apparaît dans les mathématiques grecques. Il s’agit de montrer qu’une proposition est vraie de manière nécessaire et universelle, indépendamment de tout fait singulier ou de conditions particulières. Une démonstration n’est pas simplement montrer la réponse mais déduire pas à pas les étapes pour établir une vérité. Ce n’est pas simplement donner un exemple, ou bien persuader ou intimider, mais un argument qui est nécessairement valide et universellement vrai.

La connaissance démonstrative doit donc être celle qui permettrait le mieux d’éviter l’erreur et pourrait même être retrouvée par tout individu. Pour le montrer, dans le Ménon de Platon, Socrate fait démontrer à un jeune esclave dans le sable une application du théorème de Pythagore en faisant doubler un carré. La géométrie est une connaissance a priori que tous peuvent retrouver (ce que Platon appelle une « réminiscence » de vérités éternelles que l’).

I.2) La forme logique de la démonstration

I.21 La logique et le syllogisme

La logique est la science de la démonstration, ou des inférences valides. Elle est créée par Aristote, dans son ouvrage l’Organon (ce qui veut dire « l’instrument »), et on a pu dire que la logique ne se modifia presque pas de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle avec la nouvelle logique mathématique moderne. Aristote introduit la théorie du syllogisme. Un syllogisme est un raisonnement qui part de deux vérités qu’on a admises et qu’on appelle « prémisses » différentes et en tire une conclusion. Aristote analyse toutes les phrases comme un « sujet » (qui peut être universel, « tous les F », ou bien particulier, « Quelques F ») et ce qu’on dit de ce sujet, ce qui est appelé le « prédicat ». Si les prémisses sont vraies et si on a appliquées les règles du syllogisme, la conclusion sera toujours vraie. « Le syllogisme est un discours dans lequel, certaines choses étant posées, quelque autre chose en résulte nécessairement par cela seul qu'elles sont posées ». (Organon, Premiers Analytiques, I, 1). Le but d’Aristote était de préciser tous les syllogismes valides en trouvant un moyen de reconnaître non seulement les erreurs mais surtout les raisonnements trompeurs ou sophismes, comme « Tous les chats sont mortels, or vous êtes mortels, donc vous êtes des chats. » Son modèle est la formalisation. La démonstration repose sur des « vérités premières » comme le Principe de contradiction (on ne peut affirmer et nier la même proposition) mais ces Principes ne peuvent pas eux-mêmes être démontrés.

I.22 Classification des raisonnements

Ces règles de la démonstration édictées par Aristote furent ensuite appliquées dans le plus complet traité de mathématiques de l’antiquité, les Éléments d’Euclide (-325 / -265). Euclide démontre dans l’ordre chaque théorème en se servant de définitions et d’axiomes ou « postulats ». Il constitue un modèle de rigueur mathématique qui survécut pendant des siècles. Lorsque Descartes fait l’éloge de la certitude et l’évidence des connaissances démonstratives dans sa Méthode (p. 241) il fait toujours référence à ce modèle euclidien. Les questions difficiles étaient de savoir comment obtenir une telle certitude dans d’autres sciences, comme la Physique, mais personne ne doutait que la démonstration mathématique soit valide.

Parmi les formes de démonstrations classiques, on peut notamment distinguer les formes de raisonnement par l’absurde ou « réduction à l’absurde ». Pour prouver la proposition P, on suppose le contraire non-P, puis on tire une contradiction, et de cela on en tire la conclusion que non-P est faux, donc P est vrai (ex. irrationalité de √2). Ce raisonnement repose sur le principe logique du Tiers-Exclu : toute proposition est soit vraie soit fausse et il n’y a pas de troisième cas. Cela a pu être critiqué.

II Limites de la démonstration

1) Arguments sceptiques

Certains Sceptiques ont pu critiquer les résultats de démonstration logique ou mathématique en critiquant la connaissance en général. Ainsi, les sceptiques peuvent dire qu’il y avait toujours un « cercle vicieux », ou diallèle, c’est-à-dire un mauvais raisonnement qui présupposait déjà une vérité qu’il fallait démontrer. Ainsi, Sextus Empiricus (Cf. sur le scepticisme, p. 312) explique que pour distinguer le vrai du faux, il faut un critère mais que pour juger si ce critère est le vrai critère, il faut déjà avoir un critère, donc il ne peut pas y avoir de critère, car cela conduit à une régression à l’infini. Cet argument sceptique implique donc que toute thèse philosophique doit reposer sur des principes, mais elle ne réfute pas la démonstration elle-même.

Au contraire, c’est un raisonnement qui se veut lui-même démonstratif, ce qui pose un autre problème de cercle vicieux.

Objection au scepticisme :Pascal p. 243 : la raison a besoin de principes qu’elle ne peut pas démontrer, mais cela ne signifie pas qu’ils ne soient pas certains. Il y a une certitude différente pour les principes et pour les conséquences ou théorèmes.

2) La « crise des fondements » des mathématiques

Au XIXe siècle, des mathématiciens comme Gauss et Riemann démontrèrent qu’on pouvait construire des géométries non-contradictoires qui niaient certains Axiomes de la géométrie d’Euclide (le 5e Postulat selon lequel par un point extérieur à une droite il passe une droite parallèle à celle-ci). Il y avait désormais plusieurs géométries possibles et les axiomes d’Euclide ne décrivaient plus qu’un cas particulier. Le terme d’axiomatisation ne signifiait plus les principes de la science mais des postulats particuliers et plusieurs axiomatisations différentes sont possibles. Certains mathématiciens ont commencé à douter des fondements des mathématiques. Cela a conduit à un nouveau programme, le « logicisme », la thèse selon laquelle les mathématiques étaient en fait réductibles entièrement à de la logique. Il serait possible d’axiomatiser une théorie, donner la liste des axiomes tels que pour toute proposition vraie de cette théorie, elle est un théorème démontrable. Mais en 1931, Gödel démontre qu’il peut donc exister des propositions qui sont vraies mais non-démontrables. Cela doit donc conduire au-delà des mathématiques aux limites de la démonstration.

3) Un jugement vrai peut échapper à la démonstration

On sait déjà que la démonstration suppose des prémisses ou des hypothèses non-démontrables, mais à présent, on admet aussi dans certains domaines plusieurs axiomatiques différentes possibles : il y a des géométries non-euclidiennes par exemple.

Malgré la mathématisation de la physique, on peut distinguer les connaissances purement démonstratives et celles qui dépendent plus de faits d’expérience. Or comme le remarque le philosophe David Hume (Manuel, p. 245), on peut opposer la déduction qui conclut une inférence de manière valide, à l’induction qui fait une généralisation empirique à partir d’observations et d’expériences. Il faut distinguer les vérités d’expérience ou historiques et les vérités purement rationnelles. Certaines postulats dépassent le démontrable. De plus, des jugements de valeur, qu’ils soient moraux ou esthétiques, ne peuvent peut-être pas être « prouvés » scientifiquement, même s’il est possible d’appliquer la Raison pour en discuter.

III L’expérience peut-elle « démontrer ? »

1) De l’expérience brute au rôle de la Raison

Faire une expérience peut être ressentir, éprouver de manière immédiate mais la sensation s’accompagne d’un jugement de perception qui suppose une activité de l’entendement (voir la Conscience) : quand je sens quelque chose, je perçois aussi des faits ou j’interprète d’après les théories ou les préjugés que je peux avoir. C’est ce qu’explique le philosophe de la physique Gaston Bachelard (1884-1962). « En science, rien n’est donné tout est construit » écrit Bachelard dans La Formation de l’esprit scientifique (1938), on n’a pas seulement des observations directes mais une élaboration théorique pour « guider » les observations. Il y a une rupture entre les préjugés confus de l’expérience ordinaire et l’expérimentation de l’esprit scientifique (ex. la masse en physique est différente de l’intuition du « poids »). La science moderne est née avec un modèle rationaliste des mathématiques, par exemple avec la géométrie de Descartes (le principe d’inertie en Mécanique). Selon le rationalisme, la Raison humaine peut connaître a priori certaines vérités et toute la science doit ensuite suivre l’ordre d’une déduction, même s’il n’y a pas assez de données empiriques. Faire une déduction consiste à conclure une proposition à partir d’une autre, selon le modèle de la démonstration.

2) L’empirisme et le Problème de l’Induction

L’empirisme est la doctrine philosophique selon laquelle toute la connaissance vient de l’expérience. La connaissance empirique repose sur l’induction. Une induction, par opposition à la déduction, consiste à passer de l’observation de faits particuliers (des expériences) à une loi générale ou une prédiction générale. L’induction est indispensable pour tout connaissance a posteriori mais elle peut aussi se tromper et on peut faire des généralisations fautives qui ne valent peut-être pas de manière définitive. Elle peut être vraie en général, la plupart du temps, sans être nécessairement et universellement valide.

Le philosophe empiriste David Hume a montré le Problème de l’Induction dans son Enquête sur l’entendement humain, 1748 (Manuel p. 245, 315). Il faut distinguer les simples relations entre idées et les questions de faits. La connaissance des relations entre idées peut être nécessaire (parce qu’elle est entièrement a priori) mais la connaissance des faits repose sur l’induction et n’est donc pas un jugement nécessaire sans exception. Il serait contradictoire et impossible de dire que « 3 x 2 » n’est pas égal à 6 alors qu’il n’y a aucune contradiction à concevoir que « le soleil ne se lèvera pas demain ». Il ne serait pas contradictoire ou impossible logiquement que le soleil ne se lèvera pas demain mais nous avons l’habitude que les faits suivent des régularités.

Notre connaissance de la nature dépend de la Causalité, le fait que des mêmes causes s’ensuivent les mêmes effets. David Hume était un sceptique « modéré ». Il ne doute pas du fait que nous avons des impressions et que nous croyons fermement à certaines de nos croyances. En revanche, il nie que la Causalité puisse être démontrée comme nécessaire ou certaine. Selon lui, elle est une croyance très probable, très solidement implantée à laquelle nous ne pouvons pas nous empêcher de croire seulement parce que nous y sommes habitués. Mais ce n’est pas une preuve démonstrative valide.

Objection au Scepticisme humien : Kant répond à cet argument dans la Critique de la raison pure (1780). Kant reconnaît comme les empiristes qu’il faut avoir des sensations et des expériences pour connaître. Mais il considère que la connaissance ne peut pas se limiter à ces inductions sans quoi les lois de la nature ne seraient que des habitudes régulières et non des lois universelles et nécessaires. Selon lui, la raison a des principes a priori et la connaissance consiste à appliquer ces principes à nos expériences pour faire de la science. En ce sens, la connaissance n’est donc pas seulement un résultat passif des observations et des inductions passées. C’est aussi interpréter et expliquer les phénomènes observés. La connaissance suppose non seulement les observations mais aussi des expérimentations et des théories rationnelles.

3) L’expérience scientifique, la réfutabilité et la théorie

Le biologiste Claude Bernard (1813-1878) a proposé des règles de base de la méthode des expériences en laboratoire dans son livre Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865). Cf. p. 273. La science n’est pas uniquement observation et accumulation de données. Elle suppose de faire des hypothèses à partir des observations et de vérifier ensuite si ces hypothèses sont correctes. On fait une hypothèse puis on déduit un moyen de la vérifier et ensuite on fait un test expérimental pour confirmer ou réfuter l’hypothèse. C’est la méthode dite « hypothético-déductive ». Des faits observés pourraient donner de nombreuses inductions vagues ou contradictoires. Selon le philosophe des sciences Karl Popper (1902-1993), la méthode scientifique ne cherche pas seulement des inductions qui ne seraient jamais achevées puisqu’il peut toujours y avoir des observations futures. Une induction est une connaissance générale imparfaite. La science fait en fait des conjectures qui sont des jugements universels et tente ensuite de les réfuter. Plus une science a de chance d’être réfutée dans une expérience (« falsifiability »), plus elle sera informative et intéressante.

Les croyances ou les fausses sciences ne cherchent jamais à être testées, mais la science au contraire cherche toujours les exceptions ou les problèmes qui permettent d’enrichir la théorie. Une théorie scientifique est caractérisée par sa réfutabilité. Elle peut être corrigée ou révisée par l’examen critique de ces cas. Une théorie scientifique n’est jamais définitivement prouvée par les observations mais elle est toujours prête à affronter de nouvelles expériences. La fonction de la démonstration expérimentale est donc « négative », elle sert à infirmer par des Tests et pas seulement à confirmer. L’expérience en ce sens ne s’oppose donc pas à la théorie : on fait des expériences dans une théorie pour voir si elle a des limites. Ainsi, l’expérience suppose aussi l’activité théorique du chercheur pour trouver ce qu’il faut expérimenter.

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