jeudi 10 juin 2010

La Politique, la société et l'Etat





Manuel p. 332-355.



Sujets de baccalauréat

La société

Peut-on concevoir une société sans conflit ? L 2008

La société n'est-elle qu'un regroupement d'individus ? S 2007

Une communauté politique n'est-elle qu'une communauté d'intérêts ? S, 2006

En quoi la société a-t-elle besoin de savants ? (S, 2005)

Ne vit-on en société que par nécessité ? (ES, 2004)

Les hommes peuvent-ils s’associer sans renoncer à leur liberté ? (S, 2004)

La politique et l’État

L’Etat peut-il être impartial ?(ES 09)

L'Etat a-t-il tous les droits ? (S 09)

L'autorité politique se fonde-t-elle sur une compétence ? (L, 08)

La liberté individuelle est-elle un danger pour l'Etat ? (S, 2008)

La loi doit-elle rendre les hommes heureux ? (STG, 2008)

L'Etat peut-il assurer à la fois la liberté et la sécurité des individus ? (S 08)

Est-ce à la loi de décider de mon bonheur ? (STG, 2008)

Que vaut la loi du coeur contre la loi de l'Etat ? (L, 2008)

L'action politique peut-elle subordonnée à la morale ? (S, 2007)

Peut-on se passer de l'Etat ? (STG, 2007)

L'Etat est-il au-dessus des lois ? (S, 2007)

Une communauté politique n'est-elle qu'une communauté d'intérêts ? (S, 2006)

L'action politique doit-elle être guidée par la connaissance de l'histoire ? (ES, 2005)

Les hommes ont-ils besoin d'être gouvernés ? (S, 2004)

L'Etat est-il menacé quand les citoyens discutent les lois ? (S, 2004)

Doit-on tout attendre de l'Etat ? (L, 2004)

Les hommes ont-ils besoin d'être gouvernés ? (S, 2004)


L'individu et la société peuvent exister sans Etat mais il n'y a que très abstraitement des individus humains sans aucune « société » (au moins familles, communautés si ce n'est la société au sens économique comme société civile, comme le dit Marx, l'homme n'est pas fondamentalement comme Robinson Crusoë un individu isolé qui peut recréer toute une culture et technique humaine tout seul).

L’Etat est une autorité politique souveraine, civile, militaire ou éventuellement religieuse, considérée comme une personne juridique et morale, à laquelle est soumise un groupement humain, vivant sur un territoire donné.

Les individus s’associent et l’une des raisons pour s’associer peut être la relation d’échange, échange entre famille (mariage) et échanges économiques. Tout groupement humain tend à une division du travail et donc à des échanges (voir aussi sur le Travail, textes de Smith p. 168 et Durkheim p. 169).

I De la Nature à la Société et à l'Etat

I.1) L'origine naturelle de la société et de l'Etat

On oppose souvent l’état de nature et l’état social. Pourtant, à un certain point de vue, ne pourrait-on pas dire que la société a une origine naturelle et qu’on peut parler de société animale ? Par exemple en « sociobiologie », on peut étudier le fonctionnement de certains insectes sociaux et de pratiques de « solidarité sociale » dans des groupes d’animaux. Cependant, ces « sociétés » avec leurs divisions ont été formées par la sélection naturelle et donc dans les instincts, et non pas par des choix politiques réfléchis.

Pour Aristote, dans la Politique (Manuel p. 347), la Cité-Etat est issue de la Nature (et non pas d'un contrat artificiel). Il y a un processus continu qui vient de la Famille, du Village jusqu'à la Cité. Il y a toujours des gouvernants et des gouvernés mais en même temps, ce n’est qu’une analogie : la Cité ne se gouverne pas comme une famille. La Cité est une fin naturelle qui a atteint l'indépendance ou autosuffisante (autarcie). Elle est formée à cause d'intérêts (pour les besoins économiques) mais elle existe ensuite pour bien vivre (non pas seulement vivre mais aussi avoir « l'amitié » et le bonheur). Toute la théorie d'Aristote est un finalisme. La fin est l'état de perfection ou d'accomplissement vers lequel tend un être. La Cité n'est pas composée par assemblée d'individus mais elle est antérieure aux citoyens, comme les organes supposent déjà l'organisme complet dans lesquels ils s'associent (p. 362). L'homme est par nature un « animal politique ». Celui qui vit sans l'Etat n'est plus vraiment un animal, encore plus qu'un animal social et grégaire. « La nature ne fait rien en vain, et l'homme seul de tous les animaux possède la parole. » L'homme peut délibérer et discuter de politique grâce au langage.

I.2) L'homme est-il sociable par nature ?

L'homme est-il vraiment « par nature sociable » ? Hobbes disait qu'il était par nature au contraire insociable mais que cela le conduit donc à passer à la société, pour éviter la guerre et pour accéder à des droits positifs comme la protection de la propriété privée. Rousseau disait dans son modèle d'état de nature que l'homme n'est pas encore sociable et qu'il peut se disperser mais qu'il est fait pour se moraliser dans la vie sociale (cf. Du Contrat social, I, 7-8).

Kant, dans Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784) dit que la nature a mis en l'homme un antagonisme contradictoire « l'insociable sociabilité » (Manuel p. 64) : pas assez sociable pour vivre en paix mais trop pour vivre isolé, ces conflits nous conduit à la société pour surmonter les conflits (cf. Schopenhauer p. 349 la fable des « porcs-épics »). L’homme a besoin de « chef », d’une autorité, parce qu’il ne suit pas assez sa raison pour se passer d’une autorité de coercition (l’anarchie ne serait possible que pour des bêtes en dessous de nous ou au contraire pour des êtres supérieurs à nous), mais en même temps il doit être autonome et ne doit donc pas avoir de despote (cf. Idée d’une histoire, VI, l’homme est un animal qui a besoin d’un maître, il est fait d’un tel bois tordu qu’on ne peut en tirer rien de droit).

I.3) La société contre l’Etat

Cela ne signifie pas que l’homme soit nécessairement fait pour l’Etat. Il faut distinguer la question de l’origine des sociétés et l’origine de l’Etat, l’association et le gouvernement.

Exemples de société sans Etat chez l’anthropologue Pierre Clastres, La société contre l'Etat p. 352 : ces sociétés n'ont pas la structure économique pour permettre l'émergence de l'Etat (d'une institution séparée au-dessus de la société), elles cherchent même à l'empêcher. Ce ne serait que par ethnocentrisme que nous pensons que l’Etat avec sa bureaucratie est une fin de toute société. Les théories de l'origine de la société et de l'Etat supposent souvent un mouvement continu, que ce soit par un Contrat ou non, mais l’anthropologie montre que cette évolution introduit en fait des ruptures.

Mais même si l’Etat n’était pas une nécessité historique absolue, ne peut-on justifier sa rationalité ?)

II La fondation historique et la légitimité de l’Etat

II.1) Les fondements historiques de l'Etat : n’y a-t-il que des rapports de force ?

On peut dire que dans les faits, il n’y a pas de « fondement légitime », il n'y a que des rapports de force. Les Etats sont souvent formés par des fondations violentes (coups d’Etat, usurpation). Hume dit que l'Etat n'existe que parce qu'on oublie ces origines réelles et qu'on s'y habitue, par convention (« Du Contrat originaire », dans ses Essais moraux et politiques, 1748). De même Hegel p. 350-351, critique du Contrat social en disant qu’en fait les Etats sont de lentes évolutions historiques.

La seule justification pourrait n’être que la stabilité. C’est notamment l’idée de Nicolas Machiavel (1469-1527) dans Le Prince (1513). Manuel p. 209-210. Machiavel propose une conception dite « réaliste » de la politique (voire « amorale », « machiavélique » a fini par signifier une politique prête à tout pour arriver à ses fins). Il est le premier à décrire la politique comme une « technique », moralement neutre pour garder le pouvoir. Contre toute la tradition philosophique de Platon et Aristote qui lie l'éthique et la politique, Machiavel dit que ce qui importe en politique est surtout la durée et la survie du régime. Mieux vaut un régime stable qu'un gouvernement moral qui échoue et s'effondre. Il ne faut apparaître comme moral que par intérêt (pour plaire au public) mais il faut savoir mentir et tromper. Quand il s’agit de politique, « la fin justifie les moyens » (paraphrasé notamment dans Le Prince, chapitre XVIII) : La politique peut sacrifier des règles morales au nom de la Raison d’Etat mais le vrai chef d’Etat a pour fin le bien public de son Etat et non pas seulement son intérêt de tyran à court terme.

Mais la définition de l'Etat n'est pas n'importe quelle puissance violente, mais le « monopole de la violence légitime ». Le sociologue Max Weber (1864-1920) distingue dans sa conférence Le Savant et le politique (1919) trois fondations possibles d'autorité politique : pouvoir charismatique (on obéit à un individu parce qu'on est impressionné par l'individu), pouvoir traditionnel (on obéit parce que c'est la tradition) et enfin pouvoir légal (on obéit à la loi, à une administration qu’on juge rationnelle).

L'idée d'Etat est censée être une autorité transcendant la société civile et qui n'exprime pas seulement la domination d'une classe sur les autres mais l'intérêt général. Cela conduit à poser la question de la légitimité de l'Etat.

II.2) L'Etat légitime et le droit

Cf. Cours sur la liberté. Rousseau, Du Contrat social I, 4 (Manuel p. 369-370): il faut qu’il y ait une différence entre la domination par la force et une autorité légitime à laquelle nous consentons. Rousseau croit comme Hobbes que les droits reposent sur le Contrat, et non des droits naturels, si ce n’est la liberté inaliénable. Mais Rousseau ne tient pas toujours compte de la division des pouvoirs et des contre-pouvoirs pour garantir effectivement les libertés de l’individu particulier face à la Volonté générale.

Théorie libérale de Locke, Traité du gouvernement civil (1790), l'Etat doit respecter des « droits naturels » des individus, comme la propriété privée. Pour Locke, l’Etat n’est que le garant de la protection de la société civile, et de la propriété des citoyens. Il ne peut confisquer la propriété puisqu’elle est la finalité de l’Etat, et Locke la place même au-dessus de la sécurité individuelle.

Dès lors, ne peut-il y avoir opposition et conflit entre la société (les intérêts économiques des différentes classes sociales) et l’Etat (ses buts politiques) ?

III L'Etat face à la société civile

III.1) L'Etat dépend-il trop de la société civile ?

La définition de l'Etat moderne l'oppose à la société civile : voir Hegel, Principes de philosophie du droit, p. 350 et p. 408. L'Etat doit permettre la liberté des citoyens, et ne pas se réduire aux différences économiques de la société civile. Selon Hegel, l’Etat doit donc surmonter la société civile.

Le débat entre l’Etat et la société se retrouve dans celui entre la théorie républicaine, issue de Rousseau, et les différentes communautés. L'Etat républicain, par la laïcité et la neutralité, prétend dépasser les différentes communautés sociales, religieuses, les ethnies et ne reconnaître que des citoyens égaux. A l’opposé, le communautarisme serait la théorie selon laquelle toute personne dépend en fait d’une communauté et ne peut avoir des droits et des intérêts que par rapport à ces groupes.

La seconde critique du rôle de la société civile sur la politique est celle du socialisme.

Selon le matérialisme historique de Karl Marx, la politique représente l'économie. Tout Etat est trop dépendant de la société civile. L’Etat exprime en fait toujours la domination d'une classe sociale sur les autres (cf. texte d’Engels p. 351)). La féodalité était la domination des nobles qui possédait les terres, l’Etat moderne est la domination des propriétaires et capitalistes industriels. L'Etat démocratique moderne (bourgeois) qui assure l'égalité entre citoyens, l'égalité seulement « formelle » et non pas réelle, ne servirait qu'à dissimuler l'inégalité économique. Le communisme dit que l'Etat doit prendre le contrôle des moyens de production à la place des classes sociales qui possèdent les capitaux, mais la théorie de Marx est que le but est d'arriver ensuite à faire disparaître l'Etat (thèse du dépérissement de l’Etat), passer du socialisme (appropriation collective) au communisme une fois que la société pourrait s’en passer.

III.2) L'Etat régule-t-il trop la société civile ?

Le problème de l'Etat moderne est un développement de la bureaucratie et de ses différentes fonctions. Le risque est qu'à force de surmonter et organiser la société civile, il absorbe toute la société.

C’est la critique des dérives de l’Etat par le libéralisme politique. Voir Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835, p. 369 : la démocratie moderne ne conduit pas nécessairement à une dictature mais elle habitue à un « despotisme mou », où les individus attendent tout de l’Etat, même sans s’en rendre compte. Ils cherchent donc moins à défendre leurs libertés qu’à disposer de ce qu’apporte l’Etat. L’homogénéité introduite par l’égalité risque de primer sur la liberté. La bureaucratie, même « bienveillante », ruinerait alors les individus. Les Libéraux insistent sur les libertés « négatives », liberté des particuliers de résister à l’Etat, contre une théorie qui met toute la liberté seulement dans la délibération politique et l’espace public. Rousseau et la Révolution jacobine aurait trop dépendu d’une conception antique de la liberté réduite à la participation aux affaires politiques.

La forme extrême du contrôle de l’Etat sur la société est le « totalitarisme ». Le mot vient du fascisme italien de Mussolini et il est ensuite généralisé à différents systèmes politiques, fascisme et communisme soviétique par Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, 1951. La différence entre la tyrannie classique et le totalitarisme est que le dictateur classique voulait le pouvoir mais qu'il pouvait rester hors de la société civile alors que le totalitarisme est la doctrine où l'Etat absorbe toute la société civile : il n’y a plus de Corps intermédiaires entre l’individu et l’Etat, plus de droit à des associations ou des syndicats indépendants. Un Parti unique d’Etat prend le contrôle de tous les aspects sociaux au nom d’une philosophie obligatoire : il n’y a plus de vie publique, plus d’espace pour une libre discussion.

Hegel a vu dans l’Etat une organisation rationnelle qui devait échapper à la domination économique de la société civile mais sans non plus contrôler toute cette société civile (cf. p. 408 L’Etat comme condition pour la liberté). Il y aurait deux risques opposés d’un Etat trop faible si les intérêts économiques ou les conflits communautaires dirigent tout, et d’un Etat trop dictatorial s’il ne reconnaît pas aussi un espace qui ne lui est pas complètement soumis (cf. cours sur la Liberté, le Bonheur, la Justice).

Au-delà des Etats, les citoyens peuvent aussi construire une Société des Nations qui dépasserait les conflits et les intérêts exclusifs des Etats-Nations. C’est l’idée de « cosmopolitisme » (cf. Kant, Idée d’une histoire universelle, 1784).

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