vendredi 14 mai 2010

Cours sur la religion

La religion

Cf. p. 174-197.

Sujets donnés au baccalauréat :

Peut-on venir à bout d'une croyance par le raisonnement ? (S 1992)

Peut-on ne pas faire son devoir moral au nom de la religion ? (S 1995)

La religion peut-elle se définir par sa fonction sociale ? (ES 1998)

A quoi tient la force des religions ? (STT 2000)

    Les religions empêchent-elles les hommes de s'entendre ? (ES 2001)

    La religion et la morale ont-elles la même finalité ? (S 2001)

La religion est-elle essentielle à l'homme ? (S 2004)

    Peut-on expliquer la croyance religieuse sans la détruire ? (S 2004)

    La raison est-elle nécessairement en conflit avec la religion ? (S, 2006)

I Définition et fonction de la religion

Malgré l’universalité du concept dans toutes les civilisations humaines et seulement chez elles, on peut se demander si certaines soi-disant religions en sont vraiment (« sectes ») ou à l’inverse si certaines idéologies qui prétendent ne pas l’être ne seraient pas des formes de religions (ce qu’on appelé « religions séculières »). Le terme semble venir d’un mot qui aurait désigné le lien (relier, recueillir), lien entre les croyants et les divinités surnaturelles, ou bien aussi lien entre les membres de la communauté religieuse, mais ce jeu de mot courant sur l’étymologie n’aide pas vraiment à définir ce qui caractérise la religion. On oppose parfois la superstition absurde, l’attitude « magique » et des formes de religion mais la distinction entre les deux n’est pas claire.

Ce problème de la définition se retrouve chez l’un des fondateurs de la sociologie, Emile Durkheim (1857-1917), dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912, voir Manuel, pp. 185. Pour Durkheim, la religion est un fait social fondamental total pour comprendre une société, mais on n’a pas à l’étudier seulement du point de vue subjectif de croyants. Il critique ainsi la théorie qui définit le Sacré comme une expérience du « mystère qui fait trembler ». Cette distinction du miraculeux et du profane ne convient que lorsqu’un processus de séparation et de sécularisation a déjà commencé. Les définitions par le culte et la vénération sont trop restreintes puisqu’il existe des religions sans culte ou bien où on négocie en égaux avec les divinités.

Pour qu’il y ait religion, il faut des croyances obligatoires dans une communauté donnée (dogmes ou mythes), par opposition aux libres opinions privées et profanes. Les codes moraux ou juridiques ont des pratiques obligatoires mais les religions partent de croyances pour ajouter des pratiques impératives, comme le culte ou des rites. « On appelle phénomènes religieux les croyances obligatoires ainsi que les pratiques relatives aux objets donnés dans ces croyances ».

La religion est donc définie comme un système de ces croyances et pratiques obligatoires. Elle se situe entre l’éthique et la magie, même s’il y a des formes mixtes. L’éthique suppose des pratiques obligatoires, sans un système de croyances et la magie a des pratiques facultatives, sans croyances obligatoires.

La religion n’est pas avant tout une expérience privée du mystère mais un fait social de la conscience collective, ce qui permet son étude sociologique objective (« il faut étudier les faits sociaux comme des choses »).

Dès lors, la religion peut être définie par des fonctions sociales et psychologiques. Elle peut rassurer face au malheur, à la mort des proches, elle peut assurer une cohésion sociale pour une communauté (cf. Du Contrat social, IV, viii sur « la Religion civile » et l’Emile, la religion minimale comme éthique, Manuel p. 189).

II La raison et la religion

    II.1) La croyance et le savoir

On oppose souvent la foi (acte volontaire d’adhésion) et la science (procédure rationnelle qui cherche à établir la vérité sur des expériences ou sur des démonstrations), le récit mythique et l’explication. Certains courants religieux peuvent être « fidéistes » et dire que la croyance surnaturelle en des Mystères incompréhensibles serait au-delà de la Raison humaine (Tertullien : « Je crois parce que c’est absurde », Pascal : « Le cœur a ses raisons que la Raison ignore »).

A l’inverse, la philosophie, notamment depuis le Siècle des Lumières, a pu insister sur la Critique par la Raison des croyances irrationnelles ou des superstitions (cf. Kant contre la superstition exaltée qui peut être dénoncée par la science p. 191).

Une troisième possibilité est d’assurer une place à la Raison dans la Foi. Elle peut être nécessaire (comme en Droit) pour interpréter les textes des religions révélées : le sens allégorique n’étant pas toujours évident, il peut faire l’objet d’une discussion et de plusieurs interprétations, même pour le croyant (cf. Averroès p. 188). La foi alliée à la raison peut aussi chercher un discours rationnel qui étudie la contenu de la religion, c’est la théologie.

    II.2) La Raison peut-elle argumenter pour prouver une « religion naturelle » ?

Les religions donnent généralement des documents (auquel on peut croire ou non, selon les problèmes historiques des témoignages) et non des arguments (qu’on peut analyser ou discuter). Il y a pourtant certains types d’arguments avancés pour tenter de prouver l’existence d’un Dieu (théisme croire en Dieu qui soit une personne ou déisme, croyance plus abstraite en un « être suprême », cf. Blaise Pascal p. 193 qui oppose le Dieu auquel il croit et le « dieu des philosophes »).

Exemples d’arguments donnés pour prouver l’existence de Dieu d’un point de vue « rationnel »

A) Argument cosmologique (Aristote, puis la théologie médiévale musulmane, juive et chrétienne)

L’argument porte sur la cause. Tout ce qui existe a une cause. Il faut donc une cause à l’univers. Donc un créateur ou un « Premier moteur » existe. Objections possibles : Si Dieu est sa propre cause, alors le monde peut être sans cause. Pour Spinoza, la Nature est sa propre Cause et est identique à Dieu (panthéisme).

B) Argument ontologique (Anselme de Canterbury, Proslogion, Descartes, Méditations métaphysiques)

L’argument porte sur l’essence (définition ou ce qui fait d’un être ce qu’il est) et l’existence. L’essence d’un être parfait comprend toutes les propriétés. Donc elle comprend aussi la propriété d’exister. Donc un être parfait existe.

Objections : Kant explique dans la Critique de la raison pure que l’existence n’est pas logiquement une « propriété » comme les autres et donc que l’argument n’est pas valide.

C) Argument probabiliste du Pari (Blaise Pascal, Pensées, Brunschwicg 233)

« Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant choix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »

Objections : Comment évaluer ce qu’on y perd ? Sur quelle religion parier ?

D) Arguments de type éthique

Si aucune religion n’est vraie, il n’y a pas de récompense ni punition garantie aux actions. « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » (Dostoïevski, Les Frères Karamazov, 1880).

Objections : Pour Kant, le Devoir moral ne dépend pas de la foi : on doit suivre la Loi morale, même si Dieu n’existe pas, on peut espérer le Souverain Bien mais cela ne prouve rien du point de vue théorique.

    3) La distinction des domaines

Ces arguments rationnels ne peuvent vraisemblablement pas convaincre quelqu’un qui n’aurait pas déjà la volonté de croire.

Une autre possibilité est celle de Kant dans la Critique de la raison pure. Il réfute toute preuve théorique de l’existence de Dieu, il défend le déterminisme scientifique contre tout miracle du point de vue théorique, mais il assure que la Foi garde alors une importance pratique, pour nos actions dans le monde. Il s’agit non pas de mettre la Foi au-dessus de la Raison, mais de permettre une place légitime à la croyance là où la raison ne peut rien prouver ni pour, ni contre. Mais il faut donc ici voir des arguments critiques contre la religion.

III Critiques de la religion

    1) Critique théorique des croyances

On peut critiquer une religion du point de vue théorique en disant qu’elle est fausse, mais cela n’a aucun effet sur un croyant parce qu’elle dépend aussi d’actes et d’habitudes.

Le sociologue Auguste Comte (1798-1857), fondateur du Positivisme (qui dit de s’en tenir aux faits établis) a la théorie d’un Progrès, où toute science passe par une « Loi des Trois états » (p. 213) : théologique (expliquer par un Agent surnaturel), métaphysique (expliquer par des « forces ») et positif (donner une loi scientifique sans chercher une cause première).

Mais comme le dit Durkheim, une religion est plus une attitude pratique.

    2) Critique des conséquences pratiques des religions

La critique la plus ancienne des religions vient des Epicuriens, pour qui les religions, au lieu de nous rassurer, risquent de nous angoisser, de créer des craintes inutiles (cf. Epicure, Lettre à Ménécée). Après le Siècle des Lumières, le XIXe siècle fut une époque de sécularisation des sociétés et de remise en cause de l’existence de Dieu. L’un des problèmes principaux est celui de la « théodicée » (comment justifier Dieu) : un Dieu bon et omnipotent est-il compatible avec l’existence réelle du Mal ?

L’autre problème fut la question « théologico-politique » du lien entre Eglise et Etat : la laïcisation de l’Etat pour obtenir au moins la tolérance, voire la neutralisation de l’espace politique.

C’est l’époque où le matérialiste Karl Marx analyse dans Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843, la religion comme un « opium du peuple » (p. 194). Elle est issue de la société, c’est une idéologie, un discours pour légitimer la classe sociale dominante, un monde renversé pour garder l’ordre politique réel au nom de bonheurs imaginaires. L’homme réel s’est « aliéné » en créant ses Dieux (cf. Feuerbach, L’Essence du christianisme, 1841).

De même, pour Friedrich Nietzsche, « Dieu est mort » (Le Gai Savoir, 1882, §. 343, Manuel p. 197). La morale traditionnelle était une inversion des valeurs vitales de santé et nous n’aurions plus besoin de croire dans des illusions de l’ascétisme religieux.

    3) Effets psychologiques et sociaux de la sécularisation

Freud donne dans L’avenir d’une illusion, 1927 (Manuel p. 195) une psychanalyse de la religion. Elle est selon Freud une illusion et non une simple erreur (p. 317), l’expression d’un désir infantile de protection paternelle. Le déclin des religions peut créer des angoisses (et Freud considère que cela ne sera peut-être pas possible pour tous les sujets) mais serait à la fois difficile et nécessaire, tout comme le passage à la vie adulte.

Emile Durkheim voyait dans les religions le fondement de la vie sociale. Une société sans religion ne courrait-elle pas le risque d’une « anomie » individualiste ? N’y a-t-il pas alors le risque de religions de "substitution "? La croyance dans la science ou dans des idéaux émancipateurs de la modernité est-elle une nouvelle forme de religion ?

Les sociétés en s’organisant de manière plus rationnelle et technique voient décliner les croyances irrationnelles en la superstition (ce que le sociologue Max Weber appelle le « Désenchantement du monde », la fin des croyances et rituels magiques), mais cela n’entraîne pas toujours un déclin du phénomène religieux.